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Fanny Abes : le culot d’entreprendre

Après une scolarité vénissiane, la jeune femme a décroché, en 2012, un master en politique économique à Sciences Po Paris. Avant de lancer, il y a deux ans à peine, Fempo, la première marque française de culottes menstruelles.

Après une scolarité vénissiane, la jeune femme a décroché, en 2012, un master en politique économique à Sciences Po Paris. Avant de lancer, il y a deux ans à peine, Fempo, la première marque française
de culottes menstruelles.

 

© Nelly Briet

« En arrivant à 18 ans à Sciences Po Paris, il m’a fallu plusieurs mois pour m’habituer. Saint-Germain-des-Prés, ce n’est pas la même ambiance que Vénissieux ! » Dernière d’une fratrie de cinq sœurs nées de parents algériens « qui ne sont jamais allés à l’école » et aujourd’hui toutes diplômées, Fanny Abes a grandi au Charréard, fréquenté l’école du Centre, le collège Jules-Michelet et le lycée Jacques-Brel. « Je garde de très bons souvenirs de mon enfance à Vénissieux, où je reviens d’ailleurs toujours avec plaisir. C’était une enfance tranquille à traîner avec les copains et à fréquenter la MJC pour les cours de danse. »

En 2006, avant de décrocher un bac ES mention assez bien, la trentenaire a l’opportunité de passer le concours d’entrée à Sciences Po Paris via la convention éducation prioritaire (lire page 7). « À l’époque, je ne connaissais même pas Sciences Po. Comme j’avais des facilités à l’école, j’envisageais une classe prépa, poussée par mes parents à trouver une voie qui me permette d’accéder à un meilleur statut social. » Une école réputée, l’occasion d’étudier l’économie et l’histoire, matières qu’elle adore, Fanny se lance dans l’aventure et franchit avec succès les deux épreuves orales. « Je dirais qu’il y a deux clés pour réussir : beaucoup de préparation et un peu de chance. J’encourage les jeunes Vénissians à passer ce concours. Même si on ne l’a pas, ça ouvre l’esprit. »
C’est donc parti pour Sciences Po Paris. Mais les débuts à la capitale sont compliqués pour la jeune étudiante qui finit par rater sa première année. « Ce n’était pas une question de maturité, on devient très vite autonome quand on grandit dans une ZEP ! Mais je n’avais pas prévu de quitter mes parents si jeune, j’étais déprimée. Et j’ai dû énormément travailler pour me mettre à niveau. Ça a été intense mais je n’ai pas lâché le morceau, j’aime le challenge ! »

Accro au travail

Surtout, Fanny prend conscience d’une réalité : « J’ai compris que l’école méritocratique républicaine était un mythe total. En ayant suivi ma scolarité à l’école de la République, je pensais avoir une bonne culture générale, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas… » Celle qui a grandi dans un idéal transmis par ses parents ressent alors une vraie désillusion pour la société française. « J’ai eu beaucoup de peine pour mon pays. Mes cours de socio sur Bourdieu ont pris tout leur sens et j’ai vraiment compris ce que voulait dire la reproduction sociale », poursuit-elle avec une émotion non feinte. Avant toutefois de rebondir en citant Churchill, rien de moins ! « Tout le monde savait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait. » Et Fanny aussi l’a fait : en 2012, la voici diplômée de Sciences Po Paris !

Master en poche, celle qui pratique le yoga à ses heures perdues, seule façon pour cette accro au travail de vraiment lâcher prise, enchaîne les expériences professionnelles. Et c’est son ambition et sa foi en la réussite qui la poussent à se lancer dans une nouvelle aventure, celle de Fempo (pour Femme Empowerment). À ses côtés, Claudette Lovencin, une amie canadienne d’origine haïtienne rencontrée en 2009 à Vancouver et installée en France depuis 2016. Les deux complices ont envie de monter un projet ensemble. Ce sera autour des protections intimes, sujet toujours tabou dans notre société alors qu’il concerne la moitié de la population. En avril 2017, elles lancent un sondage sur Facebook : dix questions sur les règles avec simplement « l’idée d’aider les femmes à se sentir bien ». Résultat : 3 000 réponses en deux jours grâce à la magie du web ! Car c’est sur le web que le projet prend forme, grandit et se développe comme le résume Fanny qui ne tarit pas d’éloges sur les multiples avantages de la Toile. « On n’avait pas de réseau, pas de capital, pas d’entrepreneur dans notre entourage mais on avait Internet dans notre poche ! On s’est lancé sur Facebook, on a trouvé des informations sur Wikipédia, on s’est formé grâce à des tutoriels sur YouTube : c’est Internet qui nous a permis de prendre notre destin en main ! »

Viser l’excellence


Mais alors Fempo, c’est quoi ? La première marque française de culottes menstruelles lavables conçues de façon artisanale par les deux amies après analyse des 3 000 réponses. « Les femmes soulevaient trois problématiques principales, commente la jeune Vénissiane, le confort, la santé et l’écologie. Sans avoir de vérité absolue, on a eu l’idée d’une petite solution : intégrer une serviette lavable dans de la lingerie. » Les choses s’enchaînent ensuite très vite. Deux prototypes voient le jour entre juillet et septembre 2017, « composés de trois couches, coton, bambou et tissu imperméable, et testés par une centaine de volontaires ». En novembre, les fournisseurs sont trouvés, les tissus commandés en France et en Italie, le prêt bancaire accordé, « à une chômeuse et une étudiante, la preuve que qui ne tente rien n’a rien ! » Et début 2018, les 500 premières culottes Fempo sont confectionnées en Tunisie et vendues via le site de la marque. Dans les mois qui suivent, les articles fleurissent dans les médias, le bouche-à-oreille fait aussi son œuvre.

Aujourd’hui, Fempo compte 30 000 clientes pour un chiffre d’affaires annuel d’un million d’euros, deux modèles vendus 32 euros pièce et un troisième à venir. Fanny qui « vise l’excellence » dans tout ce qu’elle entreprend n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin : « L’objectif avec Fempo, ce n’est pas seulement de monter la PME du coin ! Avec Claudette, on se dit que rien n’est impossible, on veut donc aller le plus loin possible. Et si ça reste la PME du coin, ce sera déjà très bien ! »

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