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Hélène Lépine : la préférence de la confluence

Titulaire du prix René-Leynaud, remis à Lyon en 2022, l’autrice québécoise est en résidence littéraire à Vénissieux, auprès de l’Espace Pandora. Elle participe aux festivals Essenti’Elles et Magnifique printemps.

Photo Emmanuel FOUDROT

L’écriture a beau avoir été toujours présente, elle a mis du temps à mûrir dans le « parcours à multiples voies » d’Hélène Lépine. L’autrice québécoise s’est installée à Vénissieux le temps d’une résidence littéraire auprès de l’Espace Pandora. Un « agitateur culturel » qu’elle connaît bien puisque lui a été décerné en 2022 le prix René-Leynaud, dont s’occupe Pandora, pour son ouvrage poétique Le Cœur en joue.

« J’ai beaucoup voyagé, raconte Hélène Lépine, et mes écrits restaient dans les tiroirs. J’étais influencée par des gens comme Anne Hébert mais n’étais publiée nulle part… »

Jusqu’à ce qu’elle se décide un jour, « avec une certaine lenteur ». Depuis, ont été édités des recueils de poésie et des romans.

« Ce qui retient mon regard, explique Hélène Lépine, ce sont les fractures, les cassures. Ainsi, dans Un léger désir de rouge, j’ai parlé de femmes que la maladie touche et de mutilation des corps. Il faut toujours une nécessaire espérance, comme dans Le Cœur en joue avec des femmes syriennes. »

Elle insiste sur le mot « regard » qui est « souvent ailleurs, à côté ». Elle évoque aussi « les voies parallèles », elle qui a beaucoup voyagé, avec toujours un carnet à proximité.

« Les voyages ont commencé alors que j’étais très jeune. Mon pays est si vaste qu’on rêve d’aller à l’autre bout. À 15 ans, j’ai pu atteindre l’ouest canadien. Dans mon propre pays, j’étais étrangère, facilement. Le désir de voyager est resté. J’étais chanceuse et j’en ai profité. J’ai étudié en Bulgarie, travaillé à Moscou, vécu en République dominicaine et dans les Caraïbes. »

En 2008, elle part en Syrie, terrifiée par le changement — la guerre civile avait démarré — et constatant le besoin de liberté que les jeunes réclamaient. « Ça a duré tellement longtemps… » Elle soupire : « Et ça dure encore ! Les vies étaient fractionnées, les gens poussés à l’exil. »

Elle reconnaît qu’il est facile d’oublier les fracas du monde dans son lieu de résidence. De nouveau, voici la question du « regard ailleurs » qui la travaille tant, elle qui habite « sur une île au milieu du fleuve Saint-Laurent, dans un paysage mouvant ». Elle ajoute : « Aujourd’hui, je suis en France, l’Ukraine est là, proche, et, pourtant, elle reste loin ! »

Les Premières Nations

« Les livres sont une belle porte d’entrée vers un univers étrange et l’on découvre que nous ne sommes pas si éloignés les uns des autres. Nous sommes semblables mais n’avons pas tous les mêmes contraintes, ne rencontrons pas tous les mêmes embûches. La vie réserve des sorts tellement plus terribles à certains qu’à d’autres. Si on se tait, on efface l’existence des choses. »

Elle revient sur Le Cœur en joue et ce qu’elle y a mis, « de petites histoires, des tableaux que j’avais perçus, des milliers d’images ». Avant de lâcher : « Nous allons vers un monde resserré sur lui-même. »

Elle se souvient du conflit, vécu dans son enfance, entre les anglophones et les francophones et de l’effacement des Premières Nations pour lesquelles, ajoute-t-elle, « les excuses ne réparent pas ».

« Il existe une revitalisation de la prise de parole par des écrivains, des voix qui se font entendre grâce à des éditeurs généreux. » Elle cite « la magnifique poète Joséphine Bacon », qui offre « une vision du territoire, des valeurs et la possibilité de transmission de la langue originelle, l’innu-aimun ». Hélène a elle-même traduit de l’anglais Ballades d’amour du North End, un livre de la poète autochtone Katherena Vermette.

« Dans mon enfance, se souvient Hélène, la réserve indienne était un lieu sombre, inquiétant. Tout cela, bien sûr, était faux et était de la pure ghettoïsation. Le discours ambiant empêchait la rencontre et renforçait les idées préconçues. »

La résidence

Sur sa présence à Vénissieux, Hélène Lépine salue de prime abord « l’ouverture extraordinaire des agitateurs poétiques d’ici » qui « donnent de la voix et offrent la possibilité de se faire entendre ».

« Je suis enchantée de voir ce que Pandora fait. J’ai déjà rencontré des classes de primaire, de collèges et de lycées, des groupes de parents et enfants. Je vais aussi aller dans des structures d’accueil, à la rencontre de personnes plus fragilisées. Si je peux apporter une petite lumière différente… »

Photo Emmanuel FOUDROT

Elle salue également le projet municipal d’« ouverture à la mémoire ». Dans le cadre de deux festivals, l’un organisé par Pandora (Magnifique printemps), l’autre par la Ville (Essenti’Elles), elle a rencontré le 9 mars, à la médiathèque, des femmes œuvrant dans des associations, avant d’animer un atelier d’écriture.

« J’avais la thématique du départ dans la tête. Tout individu est pluriel, ce qui nous mène à la confluence… un terme qui signifie quelque chose ici, à Lyon. Dans le village de mon enfance, il n’existait pas de confluence entre les différentes communautés. »

Son prochain livre est « déjà sur le métier ». « Il va être question de fracture, de voix empêchées… » On a hâte !

Bio Express

Naissance à Montréal
2000 : Les Déserts de Mour Avy (Triptyque)
2005 : Kiskéya (Triptyque)
2006 : Le Vent déporte les enfants austères (Triptyque)
2013 : Un léger désir de rouge est finaliste du prix France-Québec mais c’est finalement Marie Hélène Poitras qui remporte le trophée avec Griffintown
2015 : Un léger désir de rouge (éditions Luce Wilquin)
2015 : création du Comité Femmes du Centre québécois du PEN International avec la poète Germaine Beaulieu
2021 : Le Cœur en joue (2021, Pleine Lune)
2022 : Prix René-Leynaud décerné à Lyon pour Le Cœur en joue
2024 : Résidence littéraire à Vénissieux auprès de l’Espace Pandora

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