« Il y aura un avant et un après », a promis Gabriel Attal lors de la présentation de sa réforme. Mardi 5 décembre, le ministre de l’Education nationale a dévoilé les grands points de son « choc des savoirs ». Ces annonces ont été faites seulement quelques minutes après la publication du classement 2022 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), mené par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour déterminer le niveau d’enseignement dans les pays participants.
En France, un constat alarmant a de nouveau été dressé en mathématiques et en compréhension de l’écrit. Même si l’Hexagone se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE, qui regroupe la plupart des pays développés, ces résultats sont « parmi les plus bas jamais mesurés ». Entre 2018 – date du dernier classement Pisa – et 2022, une baisse historique du niveau des élèves français a été observée.
« Élever le niveau » du système éducatif français
Autre point accablant, le classement Pisa note un écart très important entre les élèves Français issus de classes sociales favorisées, dont les résultats s’apparentent à ceux des élèves européens les plus performants, et ceux dont la classe sociale est plus défavorisée, pour qui les résultats sont plus bas par rapport aux autres pays de l’OCDE.
Ce classement tombe donc à pic pour le ministre qui l’utilise pour justifier les bouleversements annoncés. Lesquels visent à « élever le niveau » du système éducatif français et tout particulièrement du collège, déjà qualifié « d’homme malade du système » par Pap Ndiaye, prédécesseur de l’actuel ministre de l’Éducation nationale.
Au cœur de cet « électrochoc », on peut noter la création de groupes de niveaux en maths et en français, le retour du redoublement et le remodelage du brevet. « Nous devons dès aujourd’hui sortir du collège uniforme (…). J’assume de corriger ce qui ne fonctionne plus. Ce collège produit trop d’échecs et pas assez de réussite », affirme le ministre.
Dans les collèges de Vénissieux, ces annonces ne font pas l’unanimité au sein du corps enseignant et des syndicats. Beaucoup estiment que cette réforme va encore plus augmenter les inégalités entre les élèves et qu’elle a pour objectif de « former les élites entre elles ».
Groupes de niveau : un dispositif très controversé
Dès la rentrée 2024, les collégiens seront répartis en groupe de niveau pour les cours de français et de mathématiques.
Le dernier classement du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), le montre : les écoliers français sont à la traîne. En mathématiques par exemple, le niveau a reculé de 21 points par rapport à 2018. Du côté de la compréhension de l’écrit, la baisse est de 19 points. L’objectif du gouvernement est donc de relever le niveau dans ces deux matières.
Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, a annoncé la création de groupes de niveaux en mathématiques et en français. Dès la rentrée 2024, cela concernera les 6e et les 5e et pour la rentrée 2025, ce sera les classes de 4e et 3e.
Pour les groupes plus faibles, les effectifs ne dépasseront pas « une quinzaine d’élèves » d’après le ministre et les élèves pourront passer d’un groupe à l’autre en fonction de leur progression. Pour ceux en grande difficulté, une scolarité aménagée pourra être proposée avec plus de cours en maths et en français et moins d’heures de cours dans les autres matières.
Ce dispositif est loin de plaire à tous : d’après des chercheurs, il creuserait les inégalités entre les élèves et n’élèverait pas le niveau général. Un argument balayé par Gabriel Attal qui assure assumer « ce pragmatisme qui a fait ses preuves en Suisse, en Suède ou au Danemark ».
Vers une accentuation des stigmatisations ?
Créé en 1977, le collège unique a été célébré comme étant un « processus démocratique » avec l’ouverture vers un enseignement à tous les enfants d’une même classe d’âge : « On s’est battu pour l’avoir, là c’est un retour en arrière », alerte Gabrielle Leflaive, enseignante au collège Aragon et membre du syndicat Sud.
D’après elle, ce nouveau système ne ferait qu’accentuer les inégalités et la stigmatisation des élèves considérés comme moins forts. « Ce n’est pas la même chose d’être dans une classe où on participe moins, où on est en retrait car notre niveau est plus faible que dans un groupe à part où tout le monde sait que nous sommes les mauvais. Avec ces groupes de niveau, on veut former entre eux les élites », observe la syndicaliste.
La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) rejoint l’avis de Gabrielle Leflaive et affirme que cette réforme va transformer l’école en « machine à sélectionner les élèves » et que les groupes de niveau vont cloisonner les élèves les plus faibles.
Les critiques sont donc nombreuses mais pour le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC), il y a quand même du bon dans ces annonces. Matthieu*, membre du syndicat et professeur dans un collège classé REP à Villeurbanne, estime ainsi que cette réforme pourrait permettre de sauver l’école publique : « Nous avons un classement ridicule au Pisa. On doit tenter quelque chose, on ne peut pas rester dans la situation actuelle. »
« On oublie les problèmes plus profonds »
« Les élèves n’apprennent pas à la même vitesse, continue-t-il. Pour ceux en difficultés, les petits groupes ça ne peut être que bénéfique. Les cours ne seraient pas au rabais mais progressifs. Dire qu’ils auraient le même niveau, ça serait mentir, mais si on arrive au niveau de base qu’un élève doit avoir dans les matières concernées, on irait dans le bon sens. Actuellement, il y a des jeunes qui dorment en cours et rendent des feuilles blanches : on ne peut pas faire pire.»
Nadia, professeur de mathématiques dans un collège à Vénissieux, fait face quotidiennement aux difficultés des élèves dans sa matière. Dans les annonces du ministre de l’Éducation nationale, elle reconnaît quelques bonnes pistes, comme l’enseignement de la “méthode Singapour” en primaire, mais n’est pas pour « étiqueter les élèves » avec des groupes de niveau.
Déficit d’attractivité du métier d’enseignant
Pour elle, le gouvernement ne traite pas le problème à sa racine : « On oublie les causes plus profondes : le quotidien de l’élève, ce qu’il se passe chez lui, le manque de suivi de certains parents, le manque de matériel, de motivation. » D’après Nadia, l’apprentissage en classe est parfois trop théorique : « Il y a un programme chargé, certains élèves ne comprennent pas les consignes. Cela mène ensuite au décrochage scolaire. »
L’enseignante serait favorable à une réduction du nombre d’élèves par classe ou à des dédoublements. « Actuellement, on ne peut pas faire du cas par cas, nous n’avons pas le temps, explique-t-elle. C’est avec ça qu’on peut venir en aide aux élèves, on pourrait prendre le temps de les aider. On manque de personnel et de moyens. Je ne pense pas que ces annonces vont changer la situation ».
La mise en place de cette réforme nécessitera le recrutement d’enseignants supplémentaires et plusieurs milliers de postes devraient être créés d’ici 2027 d’après le ministre. Pourtant, dans le budget 2024, près de 500 postes doivent être supprimés dans le second degré, après près de 6 000 en 2017.
Une question reste aussi en suspens : comment attirer de nouveaux profs ? Le métier ne fait plus rêver : le nombre de démissions ne fait qu’augmenter d’année en année et il manquait plus de 1 800 postes dans le secondaire à la rentrée 2023. Mi-novembre, l’Éducation nationale a même dû prolonger la période d’inscription au concours, faute de participants.
* le prénom a été changé
Expérimentation : le retour de l’uniforme
Le gouvernement a annoncé l’expérimentation la tenue unique à partir de la rentrée prochaine. La Région Auvergne-Rhône-Alpes s’est portée volontaire et cinq lycées devraient être concernés sur le territoire.
Le ministre de l’Éducation nationale a annoncé une nouvelle expérimentation avec la mise en place des uniformes dans les écoles, collèges et lycées volontaires. Ce grand changement devrait débuter pour la rentrée 2024 ou même au printemps pour les collectivités les plus motivées et ce, pour une période de deux ans, d’après Franceinfo.
Le Gouvernement souhaite un test de grande ampleur et pour des groupes d’âge différents afin d’avoir « une vraie méthodologie d’évaluation ». L’objectif étant de mesurer l’impact de ces uniformes « sur l’autorité à l’école, sur le harcèlement scolaire, sur les questions de laïcité », mais aussi ses effets « en termes de transmission, en matière d’élévation du niveau à l’école et de restauration de l’autorité dans [les] établissements scolaires ».
La Région Auvergne-Rhône-Alpes s’est portée volontaire afin de tester le port des tenues uniques dans cinq lycées : trois publics et deux privés. Laurent Wauquiez, président du conseil régional, avait déjà fait savoir son intérêt pour l’uniforme. En septembre dernier, il avait même annoncé vouloir lancer une expérimentation dans les lycées du territoire.
Des ensembles à 200 euros financés par les collectivités
Même si le kit peut être composé de cinq polos, deux pulls, et deux pantalons par enfant, les collectivités peuvent n’utiliser qu’une partie de l’ensemble et ils peuvent les personnaliser. Sur le territoire, les lycées qui participent à l’expérimentation devraient avoir trois polos et deux pulls.
On ne sait pas encore si les ensembles pour les garçons et les filles seront les mêmes ou s’ils changeront en fonction des saisons. Le coût total de ces kits sera de 200 euros : la moitié sera financée par l’État et l’autre moitié par la mairie, le département ou la région. Un vêtement neuf de rechange sera proposé une fois par an à chaque enfant si le modèle devient trop court ou abîmé.
Gabriel Attal reste tout de même prudent quant à l’efficacité de la tenue unique : « Comme beaucoup de Français, je suis partagé sur la question de l’uniforme. […] Je ne suis pas encore convaincu que c’est une solution qui permettrait de tout régler, et pas non plus convaincu, comme certains, qu’il ne faudrait pas en parler et l’essayer. »
Des changements pour le brevet et les redoublements
Cette réforme prévoit également de donner un nouveau rôle à l’examen du brevet, jusqu’à présent symbolique. Désormais, pour entrer au lycée, les élèves devront obligatoirement l’obtenir. S’ils ne l’ont pas, ils iront en “prépa lycée” : une année de transition et de remise à niveau qui équivaut à « une sanction » pour Gabrielle Leflaive, enseignante au collège Aragon et membre du syndicat Sud.
Quelques changements sont aussi à prévoir dans le système de notation : la part du contrôle continu passe de 50 % à 40 % et sera calculée avec les notes obtenues pendant l’année. Les notes de l’examen compteront pour 60 % et le “correctif académique”, qui permettait aux enseignants d’améliorer les notes pour relever la moyenne, ne sera plus possible. « Il y a des dérives depuis 20 ans, le collège est vidé de son sens, observe un enseignant, syndicaliste pour le SNALC et favorable à la réforme. D’un côté, on a un taux de réussite de près de 90 % au brevet et de l’autre, un taux au classement Pisa qui est catastrophique ».
Autre annonce de taille, le redoublement ne sera plus décidé par les familles, ce sont les enseignants qui auront le dernier mot. « Je suis assez favorable à cette annonce, assure une enseignante de mathématiques à Vénissieux. Mais il faut proposer un dispositif particulier pour accompagner les élèves, les motiver et leur faire comprendre la situation. »
Une nouvelle organisation de la primaire au lycée
Le collège n’est pas le seul niveau pointé du doigt par le ministre de l’Éducation nationale. D’autres changements sont à prévoir en primaire et au lycée.
Le « choc des savoirs », annoncé par le gouvernement concerne aussi le reste du système éducatif français. « De nouveaux programmes s’appliqueront à l’école primaire dès septembre 2024, a prévenu Gabriel Attal. À commencer par les classes de la maternelle au CE2. » Son objectif : simplifier le programme, le rendre moins volumineux tout en clarifiant les objectifs.
Un des plus gros changements concerne la méthode d’apprentissage des mathématiques. Le ministre souhaite aborder les fractions et les nombres décimaux plus tôt chez les écoliers. La France va aussi adopter « la méthode Singapour », déjà appliquée dans près de 70 pays.
Comme son nom l’indique, ce programme a été créé à Singapour, dans les années quatre-vingt. Cette technique d’apprentissage, mise en place de la maternelle et jusqu’à la sixième se base sur trois piliers : le concret, l’imagé et l’abstrait. Les élèves vont devoir modéliser les mathématiques avec des objets pour qu’ils puissent visualiser la problématique. Ensuite, ils vont le faire de façon schématique pour après arriver à la représentation abstraite des nombres.
« Je suis assez favorable à cette expérimentation, affirme Nadia, enseignante de mathématiques dans un collège de Vénissieux. J’ai pu voir que le niveau était plus haut dans de nombreux pays grâce à cette méthode, il faut voir si ça peut avoir un réel impact sur les élèves. »
Des changements sont à prévoir aussi du côté des lycées. De nouvelles épreuves vont venir s’ajouter au baccalauréat, en fin de première. Un examen de mathématiques et de cultures scientifiques fera son apparition d’ici 2025. Pour les lycées professionnels, les cours de mathématiques seront proposés en petits groupes en seconde et en première.
L’intelligence artificielle va aussi faire son entrée dans le système scolaire français. Gabriel Attal souhaite donner accès à un logiciel « d’approfondissement » en français et en mathématiques, aux élèves de seconde. Construit avec des chercheurs et des enseignants, propriété du ministère de l’Éducation nationale, il pourra être utilisé au domicile de l’élève et sera gratuit. Il va d’abord être proposé à 200 000 élèves de seconde début 2024 puis il sera généralisé à la rentrée prochaine.
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