Et si la vie n’était pas bien écrite ? Non seulement parce que ses différents épisodes ne dépendent pas d’un scénario préalablement établi mais aussi parce que les dialogues qu’on y entend ne sont pas toujours dignes de l’Académie française. Dans ce sens, le nouveau film de Luc et Jean-Pierre Dardenne, “Deux jours, une nuit”, présenté à Cannes en sélection officielle et qui sort ce 28 mai au cinéma Gérard-Philipe, rend son verdict : non, la vie est tout sauf bien écrite.
Prenons Sandra, l’héroïne du film à qui Marion Cotillard offre son charme. Cette ouvrière dans une usine de panneaux solaires se sort d’une grave dépression (on n’en saura pas plus sur les raisons de son burn-out). Un vote a eu lieu dans son entreprise : chacun devait choisir s’il voulait ou pas voir revenir Sandra. Dans le cas de son retour au travail, ses collègues ne pourraient pas toucher une prime de 1 000 euros.
La jeune femme est prête à abandonner mais Juliette, l’une de ses collègues (Catherine Salée) et son mari (Fabrizio Rongione) la poussent, le temps d’un week-end, deux jours et une nuit, à aller voir tour à tour chacun de ses collègues et les faire revenir sur leur décision. Juliette a en effet obtenu qu’un nouveau vote ait lieu le lundi.
S’ensuit une série de rencontres entre Sandra et ceux qu’elle doit fléchir. La situation se répète très souvent car, si les raisons varient (refaire une terrasse, la séparation d’un couple, un besoin pour vivre), le résultat est souvent le même : les mille euros sont les bienvenus. Les Dardenne ne cherchent pas à donner de la Belgique une cartographie sociale, en nous présentant plusieurs cas de figure. Juste à étalonner la crise : elle touche tout le monde, à plus forte raison les bas salaires. De cette succession de discours gênés mais unanimes, les réalisateurs font ressortir quelques personnalités fortes en quelques très belles séquences : celui qui tombe en pleurs, celui qui prend des risques ou celui qui, résolument antipathique, n’hésite pas à proférer des paroles dérangeantes et à les accompagner de violences.
Au milieu de tout cela, Sandra tente de survivre et Marion Cotillard lui prête ses traits tirés, fatigués. Beaucoup se sont étonnés que les Dardenne aille chercher une star glamour pour incarner cette ouvrière au bout du rouleau. Quoiqu’il en soit, l’actrice est à sa place : parfois tentée d’en faire un peu trop dans la fragilité, elle se rattrape en beauté dans quelques séquences solaires dans lesquelles elle est capable de passer des larmes au rire, de chanter.
Davantage que la radiographie d’un fait de société, “Deux jours, une nuit” brosse le portrait d’une femme d’aujourd’hui qui, brisée, reprend peu à peu des forces pour combattre. D’ailleurs, le patron et le contremaître, ce dernier étant la bête noire de Sandra, ne gardent dans le film que peu de place pour se défendre. Ils n’en sont pas le sujet, seulement l’un des rouages qui poussent au désespoir celle sur laquelle le spectateur doit porter toute son attention.
Pour une fois, les Dardenne quittent la Croisette sans palme ni prix, si ce n’est celui, qualifié de “spécial”, attribué par le jury œcuménique.
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