

Avec la part collective du pass Culture, de nombreuses activités culturelles sont proposées aux élèves, telles que la visite de musées, des sorties au cinéma ou encore des ateliers théâtraux.
Cela fait des mois qu’on nous le répète, les finances du pays vont mal et, pour y remédier, malheureusement, les annonces se suivent et se ressemblent. Qui n’épargnent pas, loin de là, le monde culturel.
Ce 30 janvier, on apprenait ainsi le gel du budget alloué à la part collective du pass Culture. Perdant 25 millions pour l’année 2025, celui-ci est passé de 97 à 72 millions, avec 50 millions alloués jusqu’en juin 2025.
Une pétition, « Debout pour la Culture et le service public » est lancée le 3 février, qui alerte sur « les coupes budgétaires drastiques » dans les financements publics de l’État et des collectivités, une autre décision du gouvernement. Au 5 mars, elle a déjà été signée, par près de 53 000 personnes. Ce 14 février, avant le spectacle sur Boris Vian par Debout sur le zinc, au Théâtre de Vénissieux, l’équipe de La Machinerie — qui gère le lieu — a expliqué au public les raisons de cette pétition.
Auparavant, le 7 février, lors de la présentation de Katel au centre social de Parilly, Léa Menahem (de Transports en commun, qui achève cette année sa résidence à La Machinerie) évoquait les difficultés des compagnies à survivre aux différentes coupes budgétaires et, surtout, au gel du pass Culture.
« Mis devant le fait accompli »
Ce gel touche fortement l’ensemble des équipements culturels. Directrice de La Machinerie, qui regroupe le Théâtre de Vénissieux et l’équipement de musiques actuelles « Bizarre ! », Duniému Bourobou s’étonne sur la communication de cette décision. « Nous l’avons appris, au cours d’une réunion, par un chargé de relations publiques. Alors que les théâtres sont toujours les bons élèves qui essaient de faire face aux contraintes, nous avons été mis devant le fait accompli. Comme si un pacte avait été rompu ! »
Elle différencie la part individuelle et la part collective du pass Culture. « Pour la part individuelle, « Bizarre ! » est fortement touché. Le pass avait un effet levier. Le théâtre émarge surtout sur la part collective. Ainsi, les établissements scolaires financent une grande partie du parcours écoles-spectateurs, via le pass Culture. »
Les offres de projets culturels en attente d’aides publiques sont déposées sur la plateforme Adage de l’Éducation nationale. « Les chefs d’établissements valident ces offres. Si les offres en lien avec le pass Culture ne sont pas remplies — NDLR : parce que le montant de l’enveloppe budgétaire a été baissé par le gouvernement —, elles ne seront pas financées. Quand la nouvelle du gel a été connue, tout le monde s’est précipité sur la plateforme dans l’espoir de faire passer ses projets. Quelqu’un a remarqué que, comme pour un concert de Taylor Swift, le nombre de connexions a été incroyable. Tous les projets n’ont pas pu être retenus et ceux qui sont en souffrance ne seront pas financés. Ce qui se passe d’une structure à l’autre peut être très différent. Ainsi, La Machinerie est un peu à la marge parce qu’elle est soutenue par la Ville. Nous pourrons finir cette saison mais, pour la prochaine, il faudra voir comment les arbitrages seront faits. Il ne faut pas oublier non plus que, sur le pass Culture, émargent aussi les compagnies qui font des propositions en direct. Elles sont impactées par le gel. »
« Cette décision fragilise le rapport à la culture de toute une jeunesse »
Dès l’annonce de la baisse des subventions, l’affolement s’est fait sentir dans les établissements scolaires. « Il y a eu un vent de panique chez les enseignants, témoigne Pascal Favriou, syndicaliste de la CGT Éduc’Action et professeur d’histoire-géographie au collège Elsa-Triolet. Tous les collègues ont pensé à leurs projets en cours qui n’étaient pas encore validés. La référente culture de notre établissement a dû passer plusieurs heures devant son ordinateur pour essayer de tous les sauver. »
Ainsi la compagnie Transports en commun est-elle en difficulté, qui avait le projet de jouer ses Petites Mythologies dans un collège. Projet dont le financement est loin d’être assuré. « Nous sommes en discussions avec les principaux interlocuteurs, précise Duniému Bourobou : la compagnie, l’Éducation nationale et nous. »


Photo d’archives
Chez les enseignants, deux directions se dessinent. « Certains pensent qu’il faut que l’État comprenne qu’on a besoin de financements, poursuit la directrice. D’autres préfèrent avoir des accords individuels entre leur établissement et les structures culturelles. Quoi qu’il en soit, cette décision de geler le pass Culture nous met en difficulté. Elle fragilise le partenariat avec l’Éducation nationale et le rapport à la culture de toute une jeunesse. »
Désormais, s’ils souhaitent organiser une activité culturelle pour cette fin d’année scolaire, les professeurs pourront solliciter une aide spécifique auprès de leur établissement, des collectivités territoriales ou répondre à des appels à projets académiques ou nationaux lancés par l’Éducation nationale. Ils peuvent également rechercher des financements extérieurs ou mener des actions telles que l’organisation d’événements ou des parrainages.
Ce gel porte donc un nouveau coup au milieu culturel, pourtant « essentiel à l’émancipation des élèves », affirme Pascal Favriou. « Nous souhaitons qu’il y ait davantage de moyens pour les classes et les enseignants, quitte à réduire la part individuelle du pass Culture, qui a montré qu’elle pouvait être un facteur d’inégalités, notamment pour les élèves défavorisés. »
Qu’est-ce que le pass Culture ?
Lancé en 2019 dans cinq départements, le pass Culture a été généralisé à l’ensemble du territoire en 2021. Il contribue, indique le site du ministère de l’Éducation nationale, à la généralisation de l’éducation artistique et culturelle. Il permet ainsi d’assister à des concerts, des spectacles, des séances de cinéma, de prendre des cours de danse, de musique ou de peinture, d’acheter des livres, des CD, des vinyles, des instruments de musique, de visiter des musées, d’avoir des abonnements à la presse en ligne ou aux plateformes numériques. D’après les chiffres du ministère, 84% des jeunes sont inscrits sur le Pass, ce qui représenterait plus de quatre millions d’utilisateurs.
Grâce à l’offre individuelle, le pass Culture permettait d’obtenir un crédit de 20 euros à 15 ans et 30 euros à 16 et 17 ans. Depuis le 1er mars, l’âge minimum a été modifié, les moins de 17 ans ne pouvant plus, désormais, bénéficier de crédit individuel. Ceux de 17 ans auront 30 euros et, à partir de 18 ans, 150 euros à dépenser sur deux ans — alors qu’il était auparavant de 300 euros. Un bonus de 50 euros sera accordé aux porteurs de handicap et aux élèves répondant à certains critères sociaux.
L’offre collective est gérée par les enseignants sur une plateforme dédiée, Adage, et représente 25 euros par an pour les élèves de collège, 30 euros pour ceux de seconde et de CAP et 20 euros pour ceux de première et terminale. D’une année à l’autre, en fonction du nombre d’élèves inscrits, le total de l’enveloppe pour l’offre collective devrait atteindre environ 125 millions d’euros. Pourtant, ils n’ont jamais été mis à disposition des enseignants. « Les montants distribués par élèves sont des effets d’annonce, estime Pascal Favriou, syndicaliste à la CGT Éduc’Action et enseignant d’histoire-géographie au collège Elsa-Triolet. On a jamais eu accès à une telle somme. Le gouvernement compte sur le non-recours du corps éducatif et budgétise déjà à la baisse l’offre collective du pass Culture. »
En 2024, l’enveloppe initiale allouée par la loi de finances était de 62 millions d’euros, puis elle a été réévaluée à 97 millions en cours d’année. Cette année, suite aux récentes annonces du gouvernement, ce budget est fixé à 50 millions d’euros de janvier à juin, puis 22 millions seront ajoutés pour la période de septembre à décembre. « Là encore, on ne sait pas comment ces 22 millions seront distribués, déplore le syndicaliste. Ce sera sûrement « premier arrivé, premier servi ». »
Cinéma Gérard-Philipe : les vrais problèmes se poseront l’an prochain
Face au gel des fonds du pass Culture, le cinéma de Vénissieux s’inquiète de l’éloignement des jeunes vis-à-vis des acteurs du monde culturel et de l’impact que cela aura sur les structures.


Photo Emmanuel FOUDROT
Médiateur jeune public au cinéma Gérard-Philipe, Rémi Malsoute lâche d’emblée quelques chiffres : « Nous avons entre 18 et 20 000 entrées par an, tous niveaux confondus, qui correspondent à l’ensemble des dispositifs nationaux : Maternelle au cinéma, École et cinéma, Collège au cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma et le pass Culture. Nous travaillons beaucoup avec les établissements scolaires de Vénissieux, bien sûr, mais aussi de Saint-Fons, Feyzin, quelques-uns de Lyon 8e et le lycée professionnel Tony-Garnier à Bron. »
Sur l’année 2024, le cinéma a obtenu plus de 13 000 euros sur la part collective du pass Culture et 9200 sur la part individuelle, qui représente 1844 jeunes spectateurs. Sur la réduction des budgets du pass Culture, Rémi reconnaît qu’il n’y aura pas d’impact cette année, « les dispositifs nationaux étant bouclés sur le premier trimestre de l’année ». Mais, ajoute-t-il, « pour l’an prochain, j’ai peur car les vrais problèmes vont se poser ».
Les cas sont différents d’un établissement à l’autre. « L’enseignant de Bron qui désirait montrer à ses élèves La Marche a utilisé le pass Culture. Hélène-Boucher règle ses séances via le budget du lycée. Des BTS ont été inscrits qui paient eux-mêmes. Les collèges ont des demandes ponctuelles financées par le pass Culture. »
Il raconte la surchauffe qui a suivi l’annonce du gel. « La FNCF, Fédération nationale des cinémas français, nous a prévenus. J’ai alors pris la liste de mes contacts et j’ai envoyé des propositions de films aux secrétariats d’écoles, aux CDI, aux profs. C’était le jeudi à midi. L’information officielle est venue du rectorat le vendredi matin. Si on l’avait attendue, rien n’aurait pu être validé. Le procédé accentue la mise en concurrence des structures culturelles. »
Sur l’ensemble des 50 millions mis à disposition par le gouvernement pour la période janvier-août, il ne restait plus que 10 millions à se partager pour les collèges et lycées afin d’organiser les activités d’éducation artistique et culturelle. « Toutes les offres pré-réservées représentaient déjà 7 ou 8 millions d’euros, confirme Rémi Malsoute. Mais Élisabeth Borne, la ministre de l’Éducation nationale, a déclaré que celles-ci pourront être validées. »
Rémi mentionne d’autres offres réservées aux jeunes et proposées par d’autres instances. Ainsi, la Direction des affaires culturelles de la Ville a-t-elle mis en place cette année l’Odyssée culture des 5e : une classe de 5e de chacun des cinq collèges publics de Vénissieux se rendra dans les cinq équipements culturels vénissians : le cinéma, La Machinerie, le centre d’art, l’école de musique et la médiathèque.
Contrats aidés : la médiation culturelle en danger
En novembre dernier, une circulaire adressée aux préfets a annoncé la réduction, puis, à terme, la suppression des subventions pour les 5 000 postes d’adultes-relais. Proposés dans le cadre des contrats aidés, ils permettent aux employeurs de bénéficier d’aides gouvernementales pour embaucher du personnel et réduire le coût de l’embauche ou de la formation. Ces emplois d’insertion, dont les missions sont principalement tournées vers la médiation culturelle et sociale, permettent à de nombreuses structures associatives de fonctionner, notamment dans les quartiers populaires.


Christophe La Posta (à gauche) et la troupe Z’élémentaires, lors d’un stage avec des enfants de Viviani à l’été 2021.
À Vénissieux, l’Espace Pandora a recours à ce type de contrat depuis six ans. Christophe La Posta a ainsi rejoint l’équipe en 2019 : « Je voulais travailler dans le milieu littéraire, mais je ne savais pas comment y accéder, car c’est un secteur avec peu de moyens. »
Depuis son arrivée au sein de l’association, il a construit de toutes pièces son poste de médiateur culturel avec Thierry Renard, directeur de l’Espace Pandora : « Ma mission a été de créer des ateliers d’écriture, de mise en voix et de lecture sur scène, à Vénissieux et dans les communes environnantes. » Ces rencontres s’adressent principalement aux jeunes. Il se rend régulièrement dans les écoles pour animer des ateliers et rencontre près de 3 000 enfants chaque année. « La philosophie de notre espace est de défendre la culture pour tous, assure Thierry Renard. Nous souhaitons transmettre le virus de la poésie au plus grand nombre, et surtout à la jeunesse. »
Suite aux annonces du gouvernement concernant la suppression des emplois aidés et le gel du pass Culture, l’association vénissiane fait face à de nouvelles difficultés. L’Espace Pandora souhaite en effet conserver le poste de Christophe La Posta et est donc à la recherche de financements pour y parvenir. « On passe beaucoup de temps à convaincre de l’importance de nos actions, déplore Thierry Renard. Pourtant, la culture est essentielle et elle rapporte bien plus à celles et ceux qui en bénéficient, qu’elle ne coûte. »
Inégalités culturelles : le silence de Rachida Dati
Invitée à Lyon par le festival Lumière en octobre 2024, la ministre de la Culture voulait alors accroître la part collective du pass Culture. Et se tait aujourd’hui.


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Rachida Dati semblait confiante lorsqu’elle était venue pour une conférence à l’Institut Lumière, dans le cadre du festival Lumière, le 19 octobre dernier. Alors que les médias ne cessaient d’évoquer la rigueur prônée par le gouvernement de Michel Barnier, la ministre de la Culture avait fait plusieurs annonces. Dont celle du soutien de l’État au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), aux salles d’exploitation et aux cinémathèques et son souhait de voir naître un musée national du cinéma.
« Si la Culture est un ministère régalien, commentait-elle, il faut mettre les moyens en face ! » Elle avait insisté sur l’importance de la culture : « Elle est le dernier rempart après l’école et permet l’émancipation. Ce ministère n’existe malheureusement pas dans tous les pays. »
À propos du pass Culture, dont bénéficiaient alors les jeunes entre 15 et 20 ans et pour lequel la presse s’était fait l’écho de possibles modifications, la ministre voulait mettre l’accent sur la part collective. « Pour 90% des élèves, c’est la première fois, grâce à ce pass, qu’ils vont au musée ou même au cinéma. Il est important de conforter cet aspect-là. »
Elle expliqua qu’elle-même avait 21 ans la première fois où elle s’était rendue dans une salle de cinéma, pour voir Le Grand Bleu. « Je n’en avais pas le droit avant ! » D’où l’importance pour elle que les enfants accèdent à la culture. Elle mentionna « la formation des profs et les dispositifs tels que Collège au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma » et « la question de la responsabilité des accompagnants en zone urbaine ».
Elle insista aussi sur l’importance de la médiation. « On n’aborde pas les films de la même manière suivant le lieu où l’on vit. De même, la médiation est importante quand il s’agit de montrer une œuvre d’art et expliquer qu’une statue de nu n’est pas de la pornographie. La médiation culturelle permet de lutter contre toutes ces censures. Que ce soit pour la lecture des médias, pour le cinéma ou le spectacle vivant, elle aide à la réflexion, au décryptage, au raisonnement. Je voudrais qu’on réduise les inégalités. Quand il existe un partenariat avec la culture, le niveau scolaire est plus élevé. »
On a peu entendu Rachida Dati depuis l’annonce du gel du pass Culture, sinon pour annoncer que le Puy du Fou serait désormais éligible au pass. « Pourtant, remarque Duniému Bourobou, la directrice de La Machinerie, lors d’une réunion, elle avait annoncé que le budget de la culture serait sanctuarisé. Suite à un premier vote sur le budget qui faisait état de baisses, les syndicats ont demandé un rendez-vous à la ministre. Quelques jours après, l’annonce a été faite sur le gel du pass Culture, suivi par le vote du budget définitif et la sanctuarisation des baisses. »
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