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Aux livres, citoyens !

Emprunter un ouvrage à la médiathèque Lucie-Aubrac, voilà un geste qui va de soi, aujourd’hui. Il est pourtant l’aboutissement de plusieurs siècles de lents progrès dans notre pays.

Emprunter un ouvrage à la médiathèque Lucie-Aubrac, voilà un geste qui va de soi, aujourd’hui. Il est pourtant l’aboutissement de plusieurs siècles de lents progrès dans notre pays. À Vénissieux, c’est à la fin des années 1880 que s’ouvrent les premières bibliothèques, dans les écoles.

PRÉFACE
XVIIIe siècle. Vénissieux accueille chaque automne des “régents d’école” venus des montagnes du Dauphiné et de la Savoie pour enseigner, contre une poignée d’écus, les rudiments de la lecture et de l’écriture aux sages marmots et aux petits chenapans du village. Les gones vénissians une fois devenus grands, tracent à coups de plume leurs signatures au bas des registres du curé ou du notaire. Ils savent donc écrire, au moins pour un homme sur deux au temps de la Révolution française. Mais de là à lire, il y a un pas que leurs yeux ne franchissent pas souvent.
On ne trouve aucun livre ni même la moindre feuille de choux chez le “faiseur d’huile” Jean-Baptiste Goujaud, passé de vie à trépas en 1763. Point de pages imprimées non plus chez Antoine Sublet, tailleur d’habits de son métier, décédé en 1775 ; ce couturier pour messieurs et dames gardait seulement au logis son contrat de mariage et des copies de ventes de terres écrites par le notaire. Ah ! En voici au moins un chez Charles Peyot, un boucher enrichi parti en enfer ou au paradis en 1774. L’espoir renaît. Entre les grands couteaux, les cuirs de bestiaux et une marée de pots, se trouve “un livre couvert d’un carton, d’un pied et un pouce d’hauteur [36 cm] contenant cinquante feuillets dont il ny a que le premier feuillet de garny et ecrit sur deux pages, pour servir audit Peyot pour enregistrer les declarations de ceux qui mattent [tuent] des bestiaux a Venissieux”. Espoir déçu ; le boucher ne possède que des livres de comptes…
Diables de Dauphinois, qui passent leur temps à compter les sous et n’en dépensent pas un seul pour acheter des ouvrages ! Pour en trouver davantage, il faudrait entrer en la demeure de monsieur le curé ou chez les seigneurs et bons bourgeois emperruqués.

Chapitre I.
LE TEMPS DES SAINES LECTURES
Années 1860, règne de l’empereur Napoléon III. Depuis la Révolution française, l’alphabétisation des campagnes a fortement progressé. Désormais, la plupart des enfants de paysans et d’ouvriers savent déchiffrer les pattes de mouche courant sur le papier. Le Ministre de l’Instruction Publique s’inquiète des lectures qui pourraient tomber entre des mains si modestes : “Nous apprenons à lire au peuple ; il faut, pour qu’il fasse bon usage de cette faculté, mettre à sa portée des livres instructifs et moraux”. Des livres moraux ? Le Ministre a ses idées bien arrêtées ; il veut des “volumes à bas prix, des ouvrages sains de pensée et de forme, enseignant par des exemples et des récits le respect de la loi, l’amour du pays, le sentiment du devoir, en un mot tout ce qui élève l’esprit et rapproche l’âme de son Créateur”.
Dans sa grande générosité, son Excellence fournit elle-même les ouvrages “sains” aux communes du pays. Ainsi les élèves des écoles et les adultes au sortir du travail, pourront puiser de “bonnes” pensées dans leurs pages illustrées, respectueuses de l’ordre social et du gouvernement en place. Dès 1865, Bron reçoit une première caisse de livres. Villeurbanne lève le doigt pour réclamer la sienne en 1866, puis change d’avis et boude le cadeau parisien. Vénissieux attend son tour. Un peu, beaucoup, passionnément, en vain.

Chapitre II.
LA NAISSANCE DES BIBLIOTHÈQUES SCOLAIRES
Années 1880. Les livres arrivent enfin à Vénissieux. Il était temps : en 1882, l’école est devenue obligatoire et la IIIe République de Jules Ferry expédie dans tous les coins de France des instituteurs laïcs dévoués corps et âme à l’instruction d’esprits libres. En plus de leur classe, ils tiennent une grande armoire de bois pompeusement baptisée “bibliothèque scolaire”, dans laquelle s’alignent fièrement 100 ou 200 livres à la disposition des enfants et de leurs parents.
L’école du bourg en est dotée grâce aux deniers votés par le conseil municipal. L’école du Moulin à Vent la suit de peu, à l’aide des ouvrages donnés en 1884 et 1886 par le Ministère de l’Instruction Publique. Les archives de l’époque déroulent la liste des titres. L’histoire se taille la part du lion, avec La Grèce ancienne, L’histoire de France ou Les armées féodales. En ces années marquées par la perte de l’Alsace et de la Lorraine et par un nationalisme exacerbé, la France prépare ses enfants à la guerre qu’ils ne manqueront pas de livrer, avec des ouvrages comme La défense nationale, Le journal d’un volontaire de 1792, Un fils d’Alsace. Êtes-vous candidat pour émigrer aux colonies ? L’Algérie, La Chine ou Le 2e voyage du capitaine Cook vous aideront à embarquer vers l’autre bout du monde. Rêvez-vous des merveilles découvertes par la science ? Pour vous sentir pousser des ailes de Pasteur, montez à bord des Aérostats, des Cinq semaines en ballon de Monsieur Jules Verne, ou de la Chimie et géologie agricole. Vous êtes paysan ou bonne ménagère ? Prenez cette Culture maraîchère ou cette Histoire d’une assiette, assez appétissantes et qui, en plus de nourrir votre esprit, vous donneront du grain à moudre pour gérer vos champs et vos bêtes. Après avoir bien travaillé, vous pourrez vous détendre en empruntant de bons romans comme Le Pauvre Jean-Marie, Paul et Virginie, Les Robinsons de Terre ferme, les Récits champêtres et autres Contes bleus. En somme, une “bibliothèque rose” avant la lettre, mais quand même teintée de bleu-blanc-rouge.

Chapitre III.
LES BIBLIOTHÈQUES DEVIENNENT MUNICIPALES
1926. Le conseil municipal, “considérant que la création d’une bibliothèque populaire à Vénissieux, qui compte aujourd’hui 10 000 habitants ou environ, est d’une utilité incontestable par suite de l’heureuse influence que cette institution aura sur la population au point de vue de la propagation et du développement des connaissances scientifiques, historiques et littéraires”, décide de consacrer 10 000 francs à l’aménagement d’un local spécifiquement dédié aux livres, premier du genre dans l’histoire de la commune. Il prendra place au premier étage du nouveau bâtiment que l’on s’apprête à construire à côté de la mairie, juste au-dessus du logement des gardes-champêtres. Un règlement en 25 articles est aussitôt voté, stipulant entre autres qu’il “est interdit de fumer dans la salle de la bibliothèque, d’y amener des chiens et de troubler d’une manière quelconque les lecteurs”.
Les élus du Moulin-à-Vent, qui ne veulent pas être en reste, demandent dans la foulée la création d’une bibliothèque dans leur quartier. Ils l’obtiennent deux ans plus tard, en 1928.

ÉPILOGUE
2001. Vénissieux inaugure un vaisseau de verre et d’acier imaginé par Perrault. Non pas Charles (1628-1703), l’auteur des Contes, mais Dominique (1953- ), l’architecte de la Bibliothèque Nationale de France. La médiathèque Lucie-Aubrac est née.

Sources : Archives du Rhône, 3 E 11453, 11492, 11494 (inventaires après décès, 18e s.) ; 4 T 83 (1862-1875), 4 T 93, 94 et 100 (bibliothèques scolaires) ; 4 Msup 10 (bibliothèques communales).

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