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Que sont devenus les enfants du quartier ?

Benjamin Lippens, sociologue, a suivi 470 personnes nées de 1974 à 1983 ayant grandi dans un quartier populaire de la périphérie lyonnaise.

Que devient-on, après avoir grandi dans un quartier populaire ? Cette passionnante question, Benjamin Lippens y répond dans un travail consacré à un groupe de personnes, qui ont toutes passé leur enfance dans un quartier de la banlieue lyonnaise – que l’on imagine être les Minguettes même si ce n’est pas dit explicitement par souci d’anonymisation de l’enquête –  et qui sont aujourd’hui âgées d’une quarantaine d’années. « Il s’agit de la deuxième phase d’une enquête commencée en 2003 par la sociologue Emmanuelle Santelli, explique Benjamin Lippens. À l’époque, elle avait constitué ce que l’on appelle en sciences sociales une cohorte de 473 personnes, basée sur trois critères : le fait d’avoir passé son enfance dans le quartier, avoir des parents d’origine maghrébine et être né entre 1974 et 1983. Vingt ans plus tard, j’ai poursuivi cette recherche en interrogeant le devenir de cette cohorte. »

« Alors qu’en 2003, ces personnes étaient des jeunes adultes âgés de 20 à 29 ans pour lesquels se posait la question de l’insertion professionnelle, en 2023 elles ont désormais atteint un âge où les positions obtenues reflètent des situations sociales durables. »

En 2003 déjà, près de la moitié de la cohorte avait quitté le quartier. Vingt ans plus tard, où vivent les personnes interrogées ? « La plupart ont fondé une famille, près de 90% n’y vivent plus, répond Benjamin Lippens. Le passage à l’âge adulte et tout particulièrement l’accès à la parentalité est donc passé par le départ du quartier, même si 80% restent en région lyonnaise. À l’inverse, rester dans le quartier renvoie à une situation d’échec. L’immobilisme s’oppose à l’ouverture sociale. Il s’agit de découvrir d’autres mondes, d’avoir ‘une vie normale’, de fonder une famille et plus simplement de s’en sortir hors du quartier. »

Un fort attachement

Ce qui n’est pas pour autant synonyme de rejet du quartier et de son histoire personnelle, puisque 71% des répondants affirment que le fait d’avoir grandi dans le quartier ne les a pas pénalisés, et que 84% estiment que cette expérience est importante dans ce qu’ils sont devenus. « Ce résultat est le signe d’un fort attachement à leur quartier d’enfance. La plupart des récits renvoient à une enfance heureuse, mais une prise de conscience, souvent au moment de l’adolescence, qu’il fallait déménager. »

Cette « émancipation » est notamment passée par l’obtention d’un diplôme, puisque 38% environ des répondants présentent un niveau équivalent ou supérieur à bac+2 — contre 27,4% des autres enfants de parents peu ou pas diplômés. Et ce, même si 45% des membres de la cohorte ont un niveau inférieur au bac.

Quatre profils professionnels

« Du côté des parcours professionnels, on peut dire qu’ils sont assez divers, note Benjamin Lippens. On peut schématiquement distinguer quatre profils types. Certains ont mené une carrière marquée par une forte ascension professionnelle, en particulier ceux qui ont poursuivi des études longues, supérieures au bac +3. Dans la plupart des cas, ces personnes ont obtenu leur premier CDI moins d’un an après la sortie de l’école. (…) Les cadres représentent 14% de la cohorte. »

« D’autres accèdent également à l’emploi stable dans des postes d’ouvrier, d’employé ou dans des postes de petits encadrants. On trouve d’une part celles et ceux qui se sont rapidement stabilisés dans l’emploi grâce à un diplôme de niveau bac+2 ou +3, notamment dans les domaines de la comptabilité, de l’informatique, dans les assurances ou encore dans la fonction publique. La plupart occupent des professions intermédiaires, qui représentent 16% de la cohorte. Et d’autre part celles et ceux qui ont enchaîné les contrats courts avant d’obtenir un emploi stable. Certains ont un niveau bac+2, mais la majorité a le niveau bac ou un équivalent. Du point de vue des catégories socioprofessionnelles, ces personnes sont généralement ouvriers ou employés qualifiés, et représentent 29% de la cohorte. »

« Enfin, de nombreuses personnes sont dans des parcours plus précaires, occupants des emplois subalternes et peu rémunérateurs ou sont sans emploi. Les travailleurs peu qualifiés forment 31% de la cohorte tandis que 10% sont sans activité professionnelle durable. » Un taux supérieur à la moyenne des enfants de parents peu ou pas diplômés.

Une cohorte qui réussit « mieux »… et « moins bien »

Au final, selon le sociologue, on constate donc un véritable paradoxe : les personnes interrogées réussissent à la fois « mieux » et « moins bien » professionnellement que les autres personnes ayant la même origine socioprofessionnelle. « Ces données indiquent que les inégalités sociales de départ ne sont pas un mur, mais qu’elles orientent et peuvent fortement freiner certains parcours, commente Benjamin Lippens. En réalité, beaucoup ont eu le sentiment de devoir sans cesse rattraper un écart par rapport aux autres : dès l’école et notamment au moment du lycée puis à l’université, ou dans le travail avec le sentiment qu’il a fallu rapidement s’adapter à de nouveaux univers sociaux et qu’il a été difficile, voire impossible, de compenser l’absence de réseaux professionnels qui a pu faire défaut à leur avancement de carrière. »

Et l’enseignant chercheur de conclure : « De telles constatations posent inévitablement la question politique de l’acceptation dans la société française de ces descendants d’immigrés maghrébins, ayant grandi en quartiers populaires. Malgré la diversité des parcours, et les départs massifs du quartier, ces personnes sont nombreuses à avoir le sentiment étrange de ne pas avoir eu les mêmes chances que les autres et de devoir faire un effort d’intégration alors même qu’elles sont nées en France, y ont grandi, et y ont, pour beaucoup, fondé une famille. »

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