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Commémoration de la Marche pour l’égalité : vers de nouvelles marches ?

Quand une idée toute simple, traverser la France pour réclamer l’égalité, rassemble à Marseille 17 personnes dont 9 Vénissians pour se retrouver à plus de 100 000 à Paris deux mois plus tard. Émission filmée, expositions, chorégraphie, film… Quarante ans après, l’anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme questionne encore notre société et propose de nouvelles actions.

Partis de Marseille à quelques-uns le 15 octobre 1983, ils arrivèrent à plus de 100 000 à Paris le 3 décembre de la même année / Photo archives Farid L’Haoua

Partis de Marseille à quelques-uns le 15 octobre 1983, ils arrivèrent à plus de 100 000 à Paris le 3 décembre de la même année / Photo archives Farid L’Haoua

À l’initiative de la compagnie Traction Avant, des centres sociaux des Minguettes, de la radio Enfants du Rhône et du lycée Jacques-Brel, une émission a évoqué la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 ce 14 octobre, pour se poser également la question de l’aujourd’hui. Étaient invités Toumi Djaïdja, initiateur de la Marche, Julie Leblanc, anthropologue ayant axé son sujet de thèse sur les “Minguettoises”, Nora Lakheal, ancienne agent des Renseignements généraux, et John Kouadjo, militant associatif originaire de Monmousseau, leader du collectif Humanipeace.

Toumi retraçait le contexte de la Marche : “On a lancé quelque chose d’invraisemblable. Suite à une bavure — pas une bavure, un crime —, à la place d’un poing serré, il y a eu une main tendue à ce pays. Je suis un citoyen français et je rends à la France ce qu’elle m’a donné. Il faut aujourd’hui continuer à marcher vers cet idéal. La Marche a été pour l’égalité avant d’être contre le racisme. Juste après, on a commencé à entendre parler, c’était un terme journalistique pour en dévitaliser l’esprit, de la Marche des Beurs. Elle a été tout sauf cela. C’était la marche de toute une nation, de toutes les origines. En arrivant à Paris, j’ai dit bonjour à la France de toutes les couleurs.”

Nora, elle, était enfant à Paris. “Je regardais la télé et me disais qu’il se passait quelque chose. J’ai eu le parcours très commun d’une petite fille dont on dit qu’elle est issue de l’immigration, née en France. Après des études de philosophie, je suis entrée dans la police nationale en 1998. J’ai eu la chance d’intégrer les Renseignements généraux suite aux attentats du World Trade Center en 2001. J’allais y être la première femme et, en plus, la première femme maghrébine. C’était comme prendre le relais que nous avaient tendu Toumi et tous ceux qui étaient présents dans la Marche.”

Mais cet événement, justement, quelle en a été la portée à l’époque ? Et quelles traces a-t-il laissées ? Julie, qui a interrogé de nombreuses femmes des Minguettes, d’une moyenne d’âge de 75 ans, apporte un témoignage étonnant : “Une femme parmi les 38 dont j’ai recueilli les récits était mère d’enfants qui avaient marché. La plupart disaient qu’elles en avaient entendu parler par les médias ou vu des violences de leur balcon mais elles étaient dans une vie de mères de famille centrées sur l’école de leurs enfants.”

La Marche n’est pas enseignée à l’école

Dans un reportage effectué sur le terrain par Traction Avant, une dame explique : “L’année de la Marche est celle de ma naissance. Je n’en ai pas de souvenir direct mais j’en ai entendu parler par des plus anciens. C’était un grand mouvement qui a abouti à la carte de séjour de dix ans. Cette marche venait du bas, du peuple, c’est beau ces exemples comme celles de Martin Luther King ou Gandhi, ces marches pacifiques, déterminées (…) Je n’en ai jamais entendu parler à l’école et c’est dommage. Pareil pour mes enfants, ce n’est pas une mémoire qui leur est transmise par l’école publique. Pour les jeunes qui veulent exprimer quelque chose, il peut y avoir d’autres biais que la violence. À l’heure actuelle, ils ont plein de choses sur le cœur que je trouve justifiées mais peut-être qu’ils ne l’expriment pas par le bon canal. La violence n’est pas la bonne solution. Les revendications peuvent s’exprimer par des exemples comme cela, en prenant appui sur ce qui s’est passé il y a quarante ans.”

Le 29 octobre à Lyon, près de l’Hôtel-Dieu / Photo archives Farid L’Haoua

Le 29 octobre à Lyon, près de l’Hôtel-Dieu / Photo archives Farid L’Haoua

Nora Lakheal va dans le même sens : “Ce n’est pas normal que la Marche ne soit pas inscrite dans les cours, elle fait partie de notre histoire. La graine jetée à ce moment-là est entrée dans mon cœur et mon esprit et a fait jaillir quelque chose en moi. Je ne suis pas unique et des milliers de jeunes ont dû être touchés aussi. Ce n’est pas une marche de Maghrébins mais celle pour l’égalité en France.”

Organiser de nouvelles marches populaires

Toumi remonte le fil de ses souvenirs : “Après la marche, j’ai reçu des milliers de courriers de sympathie à travers toute la France, contre une dizaine de lettres racistes. À l’arrivée à Paris, la France de toutes les couleurs était là. Partout, on a vu des gens généreux. On peut regarder le chemin parcouru mais on peut aussi se tourner vers l’avenir et l’avenir ne tient qu’à nous. Y a-t-il sur cette planète un pays qui a réglé cette question de la discrimination ? Ça n’existe pas. Tant qu’à faire, là où on vit, pour le pays qu’on chérit, ça vaut le coup d’inverser cette équation.”

John va dans le même sens, mettant en avant la solidarité. “L’AS Minguettes a permis de mixer les habitants, quel que soit leur quartier. Quand je suis entré dans le milieu associatif, avec Humanipeace, j’ai eu l’opportunité d’aller à la rencontre de cette France de toutes les couleurs. Je me suis rendu compte qu’on avait plus de points communs que de différences. Le vivre ensemble n’a pas forcément disparu, il est en concurrence avec l’individualisme.”

Alors quelles solutions, quarante ans plus tard ? Dans la salle, l’élu municipal et métropolitain Pierre-Alain Millet prône l’organisation de nouvelles marches populaires, tandis que John remarque : “L’égalité est un chantier permanent. Comme les montagnes russes, il y a des hauts et des bas. On marche à notre manière, peut-être pas physiquement comme en 83.” Et, refusant d’être négatif, il conclut : “On a un enfant des Minguettes, Idir Boumertit, devenu député de notre circonscription. Est-ce qu’il y a quarante ans on aurait pu l’imaginer ?”

Jean-Charles Lemeunier

 


Appel de Lyon : Les élus de banlieues font pression

Pour son 40e anniversaire, concomitant de celui de la Marche pour l’égalité, l’association Ville & Banlieue a lancé ”L’Appel de Lyon”, qui somme l’État d’agir au plus vite en faveur des Quartiers prioritaires (QPV).
“Nos quartiers ne sont pas un problème, ils sont la solution”, clame l’association Ville & Banlieue / Photo F.D.

“Nos quartiers ne sont pas un problème, ils sont la solution”, clame l’association Ville & Banlieue / Photo F.D.

Les représentants de Ville & Banlieue ont frappé un grand coup. Mercredi 18 octobre, pour fêter les quarante ans de l’association au siège de la Métropole de Lyon, ces élus locaux, venus de toute la France, ont exhorté Emmanuel Macron à répondre concrètement aux difficultés des quartiers populaires.
“Nos quartiers ne sont pas un problème, ils sont la solution” : la devise est explicite. Dans sa lettre ouverte, l’association incite le président de la République à travailler sur cinq axes : l’éducation, la sécurité, l’emploi, la rénovation urbaine et la transition énergétique.

Six ans après l’Appel de Grigny du 16 octobre 2017, Ville & Banlieue fait son possible pour que cette nouvelle initiative ne reste pas lettre morte. “En 2017, vous aviez promis de rencontrer régulièrement les maires. Vous ne nous avez plus jamais reçus en dépit de nombreuses sollicitations.”

“Notre colère s’entendra, se verra et se sentira”

Les élus de terrain misent sur le Comité interministériel des Villes (CIV), dont ils déplorent les reports successifs. “Si le Comité n’était pas à la hauteur de nos attentes, notre colère s’entendra, se verra et se sentira, a averti Damien Allouch, maire socialiste d’Épinay-sous-Sénart (91). Des habitants sont avec nous. On saura s’appuyer sur eux.”

“Le CIV se tiendra le 27 octobre”, a assuré Dominique Faure en salle du conseil métropolitain. Seule représentante du Gouvernement à s’être déplacé à Lyon pour l’événement, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales s’est dite sensible au mécontentement des maires.

Vénissieux n’est pas membre de l’association mais Renaud Payre (gauche unie), vice-président de la Métropole à la Politique de la Ville, a rappelé le rôle crucial qu’ont joué certains habitants des Minguettes en 1983 : “On ne peut pas parler des quarante ans de l’association et des quarante ans de la Politique de la ville sans avoir à l’esprit ce qu’il s’est passé il y a quarante ans à Vénissieux avec la grève de la faim et la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Cet événement majeur, porteur d’espoirs, donnera aussi lieu à des désillusions.”

Fabrice Dufaud

 

À Vénissieux, un appel à des “marches populaires pour l’égalité et la fraternité”

Rappelant que les habitants des quartiers populaires sont “les premiers de corvées, assurant les métiers difficiles nécessaires aux services publics des transports, de la voirie, des déchets, à la santé et aux services à la personne, à la logistique et la distribution, à l’industrie de main-d’œuvre”, le PCF de Vénissieux appelle “à l’organisation de marches populaires pour l’égalité et la fraternité”. Celles-ci pourraient alors converger “vers une grande journée nationale pour l’égalité et la fraternité à Paris”.

Les communistes vénissians demandent, à travers cet appel, “des politiques publiques de l’éducation, la sécurité, la culture, la santé qui dépensent plus pour ceux qui ont moins, une augmentation généralisée des salaires, des pensions et des allocations (…), un service public de l’emploi (…), le renforcement d’une police démocratique formée à la réduction des violences, une politique de santé publique visant la baisse continue des addictions, un service public de prévention ne laissant aucun ado en rupture de citoyenneté, [et] un logement pour tous et tout de suite.”

Le texte de l’appel est à retrouver sur www.levenissian.fr.

Grégory Moris

 


Exposition à la médiathèque : Une jeunesse qu’on ne voulait pas voir

L’exposition de Farid L’Haoua (à gauche) est visible à la médiathèque jusqu’au 4 novembre / Photo J-C.L.

L’exposition de Farid L’Haoua (à gauche) est visible à la médiathèque jusqu’au 4 novembre / Photo J-C.L.

Jusqu’au 4 novembre, à l’initiative de la Ville et de l’association Mémoires Minguettes Vénissieux, le quarantième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme se poursuit en images à la médiathèque Lucie-Aubrac, avec des photographies, principalement signées par Farid L’Haoua. Ce dernier, qui fut également porte-parole de la Marche, était présent ainsi que de nombreux autres marcheurs au vernissage de cette exposition, le 20 octobre.

“Ça ne nous rajeunit pas, tout ça !” s’exclamait en arrivant l’un de ceux-là tandis que Djamel Atallah, également ancien marcheur vénissian, déclarait en montrant les photos : “Nous étions une jeunesse qu’on ne voulait pas voir !”

Auteur de plus de 350 clichés sur l’époque, Farid L’Haoua — que la rédaction d’Expressions remercie chaleureusement pour les images qu’il a aimablement transmises — évoque la Marche comme “un curseur de l’histoire de France” et rappelle que les marcheurs étaient “des Français à part entière et pas des Français à part”. Il mentionne également “la place importante des femmes dans la Marche” et le tournant qu’a représenté l’assassinat d’Habib Grimzi, défenestré du train Bordeaux-Vintimille par des candidats à la Légion étrangère. “Ce crime a choqué la société française. À Strasbourg, nous ont alors rejoints Jack Lang, monseigneur Lustiger, Georgina Dufoix, Edmond Maire… Et nous étions plus de 100 000 à Paris. Cette émergence de la diversité culturelle a suscité des espérances.”

Michèle Picard rappelle alors les demande des marcheurs, “la République pour tous, la République des droits et des devoirs, celle qui doit être une et indivisible dans tous les territoires, dans tous les quartiers”. Enfin, pour la sous-préfète chargée de la politique de la ville, Salwa Philibert, “ce message universel se doit d’être porté toujours plus haut et plus fort”.

Jean-Charles Lemeunier

 


“Un tournant de l’histoire de France”

Trois questions à Michèle Picard, maire de Vénissieux – Michèle Picard estime que la Marche a marqué Vénissieux comme elle a changé la donne en France en matière de lutte contre les discriminations.

– Peut-on dire que la Marche pour l’égalité et contre le racisme est entrée dans l’histoire de France ?
Au niveau national, la Marche pour l’égalité est incontestablement un moment historique, un marqueur de l’histoire moderne. C’est un tournant. Il faut remettre les choses dans leur contexte : à cette époque, on parlait peu de discrimination, peu d’égalité. Durant les décennies précédentes, les personnes issues des vagues d’immigration, par exemple d’Espagne ou d’Italie, étaient aussi victimes de discrimination, mais rares étaient ceux qui s’en souciaient. La Marche a permis de mettre sur le devant de la scène ces sujets. Aujourd’hui, en France, on peut être poursuivi pour 25 discriminations différentes, relatives à l’origine, réelle ou supposée, à l’âge, au sexe, à l’orientation sexuelle… La Marche y a contribué.

– Et à Vénissieux ? Que représente la Marche pour de la ville ?
Localement, il faut d’abord rappeler que Vénissieux avait connu des émeutes en 1981. La Marche arrive deux ans après. L’équipe municipale de l’époque s’est mobilisée, est allée à la rencontre de ces jeunes qui portaient un message très fort. Elle a mis en place des choses pour la jeunesse. D’une certaine manière, ce que l’on fait aujourd’hui, les services publics en direction des jeunes, le dispositif Territoire zéro non-recours, les Maisons de l’enfance, les opérations en faveur de l’emploi et de l’insertion, sans oublier tout ce que l’on peut faire en direction de tous les autres publics, cela fait partie de l’héritage de la Marche. Sans oublier, bien sûr, la mémoire collective vis-à-vis de cet événement, très forte à Vénissieux, pas seulement chez ceux qui y ont participé.

– Aujourd’hui, une telle Marche serait-elle de nouveau possible ?
Oui, mais s’il devait y avoir une nouvelle Marche en 2023, je pense qu’elle ne mobiliserait pas que les quartiers populaires. Il y a de telles inégalités dans notre société, que non seulement les jeunes des zones dites sensibles y participeraient, mais on y trouverait aussi les retraités, les porteurs de handicap, les classes dites moyennes, les chômeurs, les étudiants… Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en France, et les conséquences de l’inflation sur la vie de nombreuses familles ! Donc oui, s’il devait y avoir une Marche, elle serait plus globale, un refus national de reculer sur nos droits fondamentaux. En un sens, une manifestation pour le droit à vivre dignement.

Propos recueillis par Grégory Moris

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