Des patients désorientés et agités, mis à l’isolement, ou sanglés à un lit : cette image, qu’ont largement popularisé la littérature et le cinéma, existe bel et bien dans la réalité. En France, les hôpitaux psychiatriques utilisent encore l’isolement et la contention, que le personnel soignant applique à certains patients en état de crise et peu consentants. L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) a ainsi recensé 34 742 séjours avec isolement thérapeutique en 2022.
Depuis quelques années, le recours à ces pratiques tend cependant à se réduire. Ces mesures, impopulaires, sont de plus en plus encadrés par la loi (voir par ailleurs). Sur le terrain, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), autorité administrative indépendante, établit des rapports de visite qu’il transmet au ministre de la Santé.
Le CGLPL s’était d’ailleurs rendu au Centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu (Lyon 8e) du 1er au 11 avril 2019. L’établissement de la route de Vienne, en bordure de Vénissieux, avait été sommé de « cesser sans délai ses pratiques abusives d’isolement et de contention et permettre à tout patient de réintégrer sa chambre d’hospitalisation dès la fin de la crise. » Dans le même temps, le contrôleur avait souligné la mise en place d’un « plan ambitieux de formation de ses personnels », visant à mieux « prévenir et prendre en charge la violence de certains patients. »
« La contention n’est pas sans risque »
Depuis, le CH Saint-Jean-de-Dieu affiche quelques progrès en la matière. 342 patients avaient été mis à l’isolement en 2020, pour un total de 64 000 heures. En 2022, cette pratique ne concernait plus que 304 patients, pour 56 703 heures. La tendance est similaire pour la contention. 93 patients avaient été attachés en 2020 (4 500 heures). En 2022, ils étaient 86. Les “sessions sangle” ont été bien plus courtes (2 400 heures au total).
« En 2019, nous avions déjà engagé une réflexion à ce sujet, mais c’est vrai que la visite du CGLPL a donné un coup d’accélérateur, reconnaît Agnès-Marie Egyptienne, directrice du CH Saint-Jean-de-Dieu. La direction et la communauté de soignants s’engagent à limiter ces pratiques. Nos formations se généralisent. Elles consistent à améliorer le soin relationnel. Nos équipes doivent savoir désamorcer des situations de crise et repérer les symptômes pour les anticiper. En outre, nous faisons des efforts pour financer une partie des études de nos jeunes professionnels. Nous développons aussi un parcours de soins en ambulatoire. »
Pour autant, le centre hospitalier ne compte pas appliquer une politique “zéro isolement, zéro contention”. Et justifie ce choix en expliquant que ces mesures peuvent parfois être inévitables.
« L’isolement peut s’imposer dans des cas de délires aigus, juste le temps de la crise, précise Juliette Grison-Curinier, psychiatre et présidente de la Commission médicale d’établissement (CME). Un patient peut devenir agressif. Parfois, ils confondent les soignants avec des policiers. Mais avant cela, nous essayons d’autres moyens : adapter le traitement, proposer une activité pour qu’ils se décentrent. Nous avons un lieu d’apaisement. C’est une sorte de salon avec un canapé, de la musique et de la lumière tamisée. Le patient y est en sécurité et peut en sortir dès qu’il le souhaite. »
« La baisse des contentions est extrêmement satisfaisante, estime Juliette Grison-Curinier. Car cette pratique n’est pas sans risques. La personne est immobilisée à un lit. Elle doit être hydratée, doit pouvoir s’alimenter et éviter la phlébite. Si l’isolement peut être expliqué et supporté, la contention est vécue comme difficile, voire traumatique. Mais lorsqu’il s’agit d’une heure, le temps que le traitement agisse, elle peut avoir du sens. »
Une loi de plus en plus restrictive
En matière d’isolement et de contention, le code de la santé publique introduit en janvier 2016 la notion de « dernier recours ». L’article L. 3222-5-1 indique « qu’il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, pour une durée limitée. »
L’appareil législatif évolue le 22 janvier 2022 : dès lors, pour maintenir un patient en chambre d’isolement au-delà de 72 heures ou pour prolonger sa contention au-delà de 48 heures, le directeur de l’établissement doit saisir le juge des libertés et de la détention. Ce dernier a le pouvoir de renouveler ou de mettre fin à la mesure.
Hussaud Dominique
29 février 2024 à 11 h 33 min
Merci à Fabrice DUFAUD poir son article qui montre que le recours banalisé à l’isolement et à la contention peut parfois s’inverser.
Cependant,à la fin du texte, la formulation employée par le journaliste prête à confusion :
” L’appareil législatif évolue le 22 janvier 2022 : dès lors, le maintien d’un patient en chambre d’isolement au-delà de 72 heures et une contention se prolongeant après 48 heures doivent être décidés par le juge des libertés et de la détention.”
Ce n’est pas le juge des libertés qui décide du maintien de la mesure.
L’article 17 de la loi du 22 janvier 2022 concernant l’isolement et la contention précise les responsabilités de chaque intervenant. Je résume :
1. C’est le médecin qui prend l’initiative du renouvellement
2. Le directeur de l’établissement saisit le juge des Libertés et de la détention du renouvellement de cette mesure.
3. Le juge des libertés peut mettre fin à cette mesure.
Comme ce dernier n’est pas psychiatre, le contrôle s’effectue sur la forme et non sur le fond. Et on est reparti pour un tour !
La loi encadre les durées mais le pouvoir médical reste entier tant que l’organisation des soins ne permet pas de développer des alternatives aux mesures liberticides et des soins relationnels portés par l’équipe soignante. Ce ne sont pas les soignants qui sont en cause mais la hiérarchie verticale, le management libéral imposé à l’hôpital et les restrictions des moyens lits, personnel…. qui sont en cause. Heureusement cette situation commence à être connue du grand public, des gouvernants… et des initiatives se développent à petits pas pour aller vers une psychiatrie plus humaine.