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1918, le comble du cauchemar

1918 est, pour les Vénissians, la pire année de la Première Guerre mondiale qu’ils aient vécue. Récit d’un calvaire, à quelques jours du centenaire de l’armistice.

1918 est, pour les Vénissians, la pire année de la Première Guerre mondiale qu’ils aient vécue. Récit d’un calvaire, d’après la presse et les archives.

Les privations continuent de plus belle. Même si la désorganisation des débuts de la guerre a cédé la place à une certaine routine, le manque de bras dans l’agriculture pèse toujours autant sur l’approvisionnement alimentaire. En janvier 1918, faute de pain en quantité suffisante, la mairie doit limiter la consommation de chaque personne à 300 grammes par jour — une ration tout juste suffisante pour ne pas crever de faim. Le charbon et le bois manquent également, malgré les efforts de la municipalité pour en faire venir des wagons. Résultat, l’on grelotte dans les maisons et les écoles, au point que certains jours, les institutrices ne peuvent faire classe. Ces pénuries continuelles entretiennent un climat détestable. Les nerfs à fleur de peau, les vols et les agressions deviennent monnaie courante, comme ce 25 octobre, lorsque le restaurant de Madame Bonnet, rue de l’Industrie, est entièrement pillé de toutes ses victuailles. Les militaires présents dans la commune ne sont pas les derniers à participer à l’insécurité : le soir du 8 avril, un ouvrier est agressé par trois soldats alors qu’il rentre chez lui, et dépouillé d’une somme de 200 francs. Pire, le 12 juillet l’on retrouve dans un champ le cadavre d’un « indigène, Kabyle ou Marocain », employé dans l’usine de chargement d’obus. Après enquête, l’on découvre qu’il a été assassiné par deux de ses camarades de travail.

De la commune rurale à la cité industrielle
Le maire de notre ville, Jean-François Garin, a bien du mal à faire face à la situation. Le 7 août, il demande la création d’un poste de garde en mairie, composé d’une dizaine de soldats, et surtout l’installation urgente d’un téléphone pour lui permettre de prévenir au plus vite la préfecture et les autorités militaires en cas de crise. Et pour mieux obtenir satisfaction, il met en avant les transformations phénoménales intervenues dans la ville. En quatre ans, Vénissieux a changé du tout au tout. La commune rurale d’avant-guerre est devenue une cité industrielle en grande partie vouée aux besoins de l’armée, avec parmi ses principaux fleurons l’usine de chargement d’obus, située le long de la voie ferrée, en limite de Saint-Fons, et surtout la nouvelle usine Berliet, l’une des plus grandes du monde, commencée en 1916 et 1917 et qui, désormais, produit à plein régime des chars, des tourelles d’automitrailleuses et surtout des camions. Cette ruche continuelle accueille à elle seule 3 000 ouvriers, civils et militaires confondus, Français de souche ou migrants recrutés au fin fond des colonies ou dans les pays neutres comme l’Espagne. En 1918, les effectifs d’ouvriers atteignent leur maximum : « en raison du développement industriel considérable de Vénissieux, [on] compte aujourd’hui plus de 8 000 habitants civils et 7 000 militaires ou travailleurs coloniaux », constate le maire. Depuis le début de la guerre, Vénissieux a donc triplé sa population, passant de 5 000 à 15 000 habitants, et abrite presque autant de civils que de soldats !

Le 14 octobre 1918, une terrible explosion
avait soufflé l’usine d’obus,
provoquant une panique indescriptible.

Parmi les Vénissians sous uniforme, se trouvent aussi les Poilus engagés sur le front, entre la mer du Nord et la frontière suisse. La presse de 1918 se fait l’écho de leurs exploits et, trop souvent, de leurs décès. Ainsi le 31 mai, le brancardier Antoine Bressieux, décoré de la Croix de guerre, reçoit un coup de feu fatal dans une commune de la Marne. Âgé de 26 ans, il en était à son 46e mois de combats, ce qui n’avait pas affecté son humeur : « travailleur et doté d’un excellent caractère, il ne comptait que des amis ». Au total, 24 Vénissians trouvent la mort en 1918, et 160 durant la totalité du conflit. L’un des derniers à en être victime est Pierre-Jean-Marie Couturier, « mort pour la France au combat de l’Escaut, à Scheldehaut commune de Petegen (Belgique) ». Il participait à l’offensive générale qui allait donner la victoire aux alliés, et tomba le 6 novembre 1918, seulement cinq jours avant la fin de la guerre.

La reddition
Le 11 novembre 1918, arrive enfin l’évènement que tout le monde attendait, la reddition des troupes allemandes. « Dès midi, tout Lyon était dehors, femmes et hommes de toutes conditions se félicitaient, acclamant les poilus de toutes armes et de tous pays qui étaient les héros de la fête. Les cloches des temples sonnèrent la libération puis, après déjeuner, des cortèges se formèrent, enrubannés et fleuris, qui véhiculèrent la nouvelle dans tous les quartiers. » La foule resta dans les rues jusque tard dans la nuit, mêlant musique et danses, cris de joie et émotion immense. « Ce fut une belle fin de journée, brillante et bruyante », racontent les journaux. À Vénissieux aussi, la fête fut à son comble. Mais elle ne dura guère. Le 14 octobre 1918, une terrible explosion avait soufflé l’usine d’obus, provoquant une panique indescriptible : « sur toute la route, on ne rencontrait que des gens à demi vêtus, femmes, enfants, vieillards terrifiés par le spectacle auquel ils venaient d’assister et sous le coup d’une vive émotion ». Une partie de la ville fut détruite par la catastrophe, les toits effondrés, toutes les vitres pulvérisées à des kilomètres à la ronde. En cette fin de 1918, la municipalité et la population n’avaient qu’une idée en tête, réparer les dégâts, retrouver leurs logements, revivre normalement. Un combat qui allait encore les occuper pendant plus d’une année.

Sources : Archives municipales de Vénissieux, D 13. Archives du Rhône, 4 E 14288 et 2 Mi 107/ R 22 (Lyon Républicain, 1918).

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