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Amiante : vivre sous l’épée de Damoclès

Robert Mandrant est à quelques semaines de la retraite. Après 42 ans passés au contact de l’amiante, à la maintenance de la fonderie de Berliet puis de RVI à Vénissieux, il confie son inquiétude.

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Robert Mandrant est à quelques semaines de la retraite. Membre du collectif de l’APER depuis 2002, il raconte ses 42 ans passés à la maintenance de la fonderie, au contact de l’amiante. Et, désormais, l’angoisse d’une maladie qui peut survenir à tout moment.

L’âge de la majorité civile venait tout juste d’être fixé à 18 ans. C’est donc à peine majeur que Robert Mandrant entre chez Berliet à Vénissieux, en 1974. En tant qu’outilleur à la maintenance de la fonderie, il réalise les pièces à remplacer sur les machines. Il aura soixante ans le 5 novembre prochain, et fera valoir ses droits à la retraite le 1er décembre suivant. En 42 ans, la fonderie a… fondu. Passée de 17 lignes de production à une seule, et de 2.000 ouvriers à moins de 200. Ici, l’aluminium en fusion était coulé dans des moules, pour former des culasses, des boîtes de vitesses, des ponts de camions, de cars, d’engins agricoles ou de travaux publics. Seule subsiste aujourd’hui la fonderie de ponts de camions. Quand Robert partira à la retraite, il ne passera pas la main à un successeur, et son travail sera probablement confié à un sous-traitant extérieur.

Passant d’un poste de travail à l’autre, Robert est bien placé pour constater que la plupart des salariés étaient exposés à l’amiante. “Les joints des cubilots, les tresses autour des câbles électriques, même les gants en contenaient. En fait, là où il y avait de la chaleur, il y avait de l’amiante, puisque c’était un excellent isolant.” À l’atelier noyautage, par exemple. On y fabriquait des composants de moules, en sable, dans des “boîtes chaudes” isolées avec des plaques d’amiante qui s’effritaient en fine poussière. Une poussière respirée à pleines narines, sans masque pendant des décennies. “Aujourd’hui, les gars du noyautage décèdent les uns après les autres, atteints de plaques pleurales, de nodules…” Les équipes de maintenance étaient exposées, elles aussi. “Pour nettoyer les culasses des fours de 3 m de haut, il fallait gratter les plaques d’amiante collées dessus, avec un pistolet pneumatique à aiguille. On était jeunes, on ne pensait pas à se protéger et le patron ne nous disait pas qu’il fallait le faire.”

Au tournant des années 2000, des collègues commencent à tomber malades. Les employeurs successifs prétendent que l’amiante n’y est pour rien, d’ailleurs il n’y en a pas… “Pourtant, se souvient Robert, quand les ateliers étaient vidés lors des diverses restructurations, ils mettaient des panneaux “attention désamiantage” ! La boîte a commencé à équiper les salariés de protections individuelles dans les années 1995-2000, pas avant. Ils ont tout le temps traîné les pieds, mis des obstacles à la reconnaissance amiante.” Les actions en justice menées par l’APER débutent en 2003. À chaque fois, la direction de l’entreprise a fait appel. Probablement pour éviter de devoir payer pour le préjudice d’anxiété subi par les salariés. C’est que le site complet est concerné, pas seulement les ateliers les plus exposés…

“On a tous des nodules, constate Robert. On passe un scanner tous les deux ans. En touchant du bois. On ignore si ça va se déclarer, et quand. C’est comme vivre avec une épée de Damoclès dans le corps. On sait que, dès que ça commencera, ça finira vite et salement. On connaît tous des collègues qui n’ont pas profité de leur retraite. Au début, c’est la bouteille d’oxygène, puis la flamme s’éteint, on meurt étouffé. Entre nous, on évite de trop en parler, par pudeur, par trouille superstitieuse, même si la peur n’évite pas le danger. Ce qui aurait évité le danger, c’est de virer l’amiante.”

Il y a une quinzaine d’années, les procédés techniques évoluent, les premiers recours aboutissent à une reconnaissance, les entreprises désamiantent, contraintes et forcées. À Vénissieux, l’APER mène une bataille de longue haleine, pied à pied. “Parfois on obtenait des avancées, puis la direction, l’État ou la Justice nous faisaient reculer. C’était la douche écossaise. Heureusement, lors des moments de découragement, il y a toujours eu quelqu’un pour relancer la machine, faire repartir le moteur. Mais sans l’APER, ce serait tombé à l’eau. Aujourd’hui, avec le classement du site, on voit le bout du tunnel. C’est vrai, ça ne fera ni revenir les copains qui sont partis ni guérir ceux qui sont malades. Mais c’est une victoire arrachée de haute lutte, croyez-moi.”

© Photo Raphaël Bert – Expressions

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