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Portraits

Benoît Silve, le capitaine du Bioforce

Marin durant 25 ans, Benoît Silve dirige depuis 2003 l’Institut Bioforce. Rencontre avec cet homme qui a visité le monde entier avant de jeter l’ancre à Vénissieux.

“Le sillon commencé par Charles Mérieux continue d’être tracé”, dit de lui Claude Lardy, la présidente d’honneur de Bioforce. De fait, le travail de Benoît Silve, directeur général, s’inscrit dans la continuité de ce qu’avait initié le fondateur de l’organisation non gouvernementale qui est installée à Vénissieux depuis 1983. Dans la continuité, mais pas seulement.
“Je suis arrivé à Bioforce en septembre 2003, raconte Benoît Silve de sa voix posée. J’avais appris en juin qu’ils recrutaient un nouveau directeur général. J’ai donc eu l’été pour me préparer, me mettre à jour, en travaillant ma prise de fonction avec Claude Lardy. Cela m’a permis d’appréhender les enjeux de l’association.”
Au regard de son parcours, intégrer la direction de Bioforce ne semblait pourtant pas une évidence. Benoît Silve est en effet, à l’origine… marin. Et pas pendant trois mois, pendant un job d’été, à hisser la grand-voile et souquer les artémuses (1). Non, il a passé 25 ans dans la marine nationale ! “Avec ce parcours, j’aurais facilement pu travailler dans l’industrie aéronautique. Mais je voulais un vrai changement, construire quelque chose de différent, en adéquation avec les valeurs qui sont les miennes. De plus, j’avais envie de poser le sac à terre. De donner une stabilité à ma famille.”
Mais revenons quelques instants sur ce passé militaire (“Non, marin”, oui pardon marin parce-qu’il-ne-faut-pas-confondre-désolé). Le jeune Benoît, passionné par “tout ce qui vole”, se rêve pilote. Attiré par la mer et n’oubliant pas que dans l’eau flottent des porte-avions, il intègre la marine nationale. Pour un quart de siècle, donc. Occupant successivement les grades de capitaine de vaisseau. De commandant adjoint du porte-avions Foch. De commandant de la frégate furtive Aconit, avec 170 personnes sous ses ordres (soit trois instituts Bioforce, à la louche). “Cette partie de ma vie m’a marqué, bien sûr. On y rencontre des contraintes bien au-delà de celles que l’on connaît dans la vie civile. Cela renforce votre niveau d’exigence. Lorsque les éléments se déchaînent, vous relativisez. Vous apprenez à travailler en équipe. Cela permet de mieux se connaître, et de connaître les autres. J’ai vécu des choses formidables, d’autres terribles. J’ai vu le Tchad, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan. J’ai vu de mes propres yeux les enjeux qui se présentent lorsque, dans une société, les choses dérapent et que le pouvoir revient au plus fort ou au plus méchant. J’ai fait le tour du monde, je pense qu’il y a très peu de pays que je n’ai pas connus. On en revient transformé.”
Avoir intégré l’Institut Bioforce constitue le second moment marquant de la carrière professionnelle de ce natif de Paris. Si, après bientôt neuf ans de présence sur le plateau des Minguettes, l’heure n’est pas encore au bilan (l’intéressé n’a que 54 ans), il a “en tête plusieurs événements de nature à changer un homme”. Lesquels ? Son visage se ferme. “Les assassinats d’Agnès et de Damien, bien entendu (2). Une tragédie. Ce genre d’événement amène une réflexion sur ce que doit être l’Institut Bioforce. C’est l’engagement personnel qui donne du sens à l’engagement humanitaire. Nous devons fournir aux jeunes une formation responsable quant aux risques qu’ils peuvent rencontrer. J’ai beaucoup de respect pour eux, qui parcourent le monde en connaissance des risques. Ce qui compte le plus, au-delà de ce que l’on fait, c’est avec qui on le fait. Les formations sont importantes, mais moins que ceux qui les suivent.”
“Nous avons par ailleurs, ces dernières années, renforcé et développé notre engagement local. Je me souviens de ma première rencontre avec André Gerin, alors maire de Vénissieux. Nous avions abordé ce sujet. Avant, l’Institut était très tourné vers l’international. Aujourd’hui, nous avons acquis de l’estime et de la crédibilité dans notre propre environnement. On a enraciné Bioforce dans son tissu local. Je suis heureux du chemin parcouru.”
L’aventure se poursuivra-t-elle encore longtemps ? “Mon avenir ne dépend pas que de moi. Il faut que le conseil d’administration de Bioforce me renouvelle sa confiance. Je veux également ressentir l’adhésion de l’équipe dans le projet que je porte. Je ne souhaite pas me satisfaire d’un confort fragile.”
Un “confort” dont ne se satisfait pas plus Benoît Silve dans sa vie privée. “Je me repose lorsque je suis malade, mais cela reste très rare. J’essaie de consacrer un maximum de temps à ma famille. Et je me réserve aussi des loisirs : je suis passionné par la nature. Je pratique de nombreuses activités en montagne, je navigue toujours et je pilote à l’aérodrome de Corbas. Je suis un homme de défis, je ne suis pas du tout mondain. Attention, ce n’est aucunement un jugement de valeur : chacun trouve l’univers dans lequel il se sent le plus à l’aise.”
“Beaucoup de gens vous diront que les rêves d’enfants sont faits pour ne pas être réalisés. Moi, non. Lorsque je regarde mon parcours, j’ai le sentiment d’avoir assouvi ces rêves. Je pense avoir trouvé un bon équilibre entre ce que je pouvais et ce que je voulais réaliser. C’est ce que je souhaite transmettre à nos jeunes. Bon, d’un point de vue personnel, il m’en reste peut-être un : j’aimerais pouvoir m’offrir mon propre avion…”
Et d’achever l’entretien sur une promesse : celle, par modestie, de ne pas afficher cette page d’Expressions dans les locaux de Bioforce. Et si quelqu’un le fait à sa place ? “Je vais donner des consignes.” Nous vérifierons. Oh, et puis non.

(1) Les fans d’Astérix comprendront. Sinon ne cherchez pas, “ça ne veut rien dire”.

(2) En mission humanitaire au Burundi, Agnès Dury (ACF), 31 ans, a été assassinée en décembre 2007. Un mois plus tard, Damien Lehalle (MSF), 27 ans, était victime de l’explosion d’une bombe en Somalie. Tous deux avaient été formés à Bioforce.

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