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1936, l’année du grand combat social

Le mouvement contre la loi Travail, qui s’installe dans la durée, rappelle les grandes heures du combat social : 1995, 1968, et plus loin encore, 1936. Il y a quatre-vingts ans, Vénissieux connaissait une série de grèves sans précédent dans son histoire.

manif 20 avril 36

Le 20 avril 1936, plus de 5000 personnes, dont les enfants des écoles, manifestent place Sublet en soutien aux ouvriers de Berliet

Des bagnes” : c’est ainsi que la presse des années 1930 qualifie les usines de Vénissieux. Aux conditions de travail dangereuses et insalubres, aux vexations de l’encadrement, aux journées interminables, s’ajoutent pour les ouvriers des salaires qui baissent inexorablement, au fur et à mesure que la France subit les conséquences d’une crise économique mondiale. Dans tous les ateliers la tension monte, l’exaspération est palpable. Puis vient l’explosion. Le combat social. La première bataille éclate dans l’Aciérie de Longwy, une entreprise d’armement travaillant pour l’État. Le 9 mars 1936, ses ouvriers se mettent en grève pour obtenir des augmentations de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail : la construction d’une cantine, la pose d’aspirateurs d’air dans les ateliers noyés sous la poussière polluée, des lavabos pour le personnel. Après une semaine de lutte, ils obtiennent satisfaction sur une partie de leurs revendications. Mais à peine le conflit des aciéries terminé, les ouvriers de Berliet débrayent à leur tour. Chez le constructeur d’automobiles et de camions, le mouvement commence lundi 16 mars, lorsqu’une quarantaine d’outilleurs réclament de meilleurs salaires. Leurs délégués sont aussitôt licenciés. La nouvelle court comme une traînée de poudre à travers l’usine, et provoque un immense élan de solidarité. Dès le lendemain, mardi 17 mars, 4 500 ouvriers soit la quasi-totalité des “Berliet”, arrêtent leurs machines et restent bras croisés. Pour la première fois depuis sa construction, “l’usine devient silencieuse“. La nouvelle fait la “Une” des quotidiens, qui se demandent quelle sera la réaction du puissant patron de l’entreprise, Marius Berliet. “Le colosse est touché“, affirment les journaux de gauche ; “C’est un magnifique réveil des métallos lyonnais ! En avant, pour la victoire sur le patronat !” Hélas, entre le désir et la réalité s’ouvre un gouffre béant. Marius Berliet ne cède pas. Il ordonne de fermer les portes de l’usine pour empêcher les grévistes de rentrer, qui se retrouvent “lock-outés”, enfermés dehors, et privés de salaire.

Les jours puis les semaines passent sans que la situation évolue. Berliet ne plie pas, les ouvriers non plus. Pour venir en aide aux lock-outés, les manifestations de solidarité se multiplient à travers la ville ; partout l’on quête, dans les usines, dans les commerces, dans les associations, dans des bals populaires organisés pour l’occasion. Les ouvriers tiennent vaille que vaille mais s’exaspèrent peu à peu. Fin mars, des bagarres éclatent aux portes de l’usine entre les piquets de grève et des ouvriers voulant reprendre le travail, les “jaunes”. La police intervient, investit toute notre ville, charge les manifestants et passe même à tabac des femmes qui s’étaient couchées sur la route d’Heyrieux, pour empêcher le passage des cars remplis de “jaunes”. L’affaire se politise. Le maire de Vénissieux, le communiste Ennemond Romand, en appelle au préfet et obtient que les lock-outés reçoivent des allocations de chômage. Puis le 20 avril 1936, plus de 5 000 personnes — dont les enfants des écoles — manifestent place Sublet contre “Berliet l’affameur“. Les communes de l’Est Lyonnais proclament aussi leur solidarité, mais rien n’y fait. Après sept semaines de grève, le 27 avril 1936 les ouvriers reprennent le chemin de l’usine. Ils ont perdu leur bataille. Marius Berliet, “l’inflexible“, a gagné.

Nous en avons assez d’être exploités et considérés comme un bétail humain tout juste bon à remplir les coffres des administrateurs

Une semaine plus tard, un événement majeur change le rapport de force entre patrons et ouvriers. Le 3 mai 1936, les partis de Gauche réunis dans le Front populaire, remportent les élections législatives. Pour la première fois dans son histoire, la France est gouvernée par des ministres socialistes, avec à leur tête Léon Blum. Ce nouveau gouvernement entame une politique résolument favorable aux ouvriers et employés. Le 8 juin 1936, après que des grèves de soutien au Front Populaire ont éclaté dans toute la France — et notamment aux aciéries de Longwy, arrêtées depuis le 12 mai –, le gouvernement signe avec les représentants patronaux les célèbres accords de Matignon, octroyant des augmentations de salaires et la liberté syndicale pour tous les salariés. Bientôt, suivent les premiers congés payés, puis la semaine de 40 heures. Le temps est à la fête, le soleil brille dans toutes les têtes. À Vénissieux les grèves ne cessent pas pour autant ; bien au contraire, elles se généralisent ! Le 9 juin, les 800 ouvriers de la Société d’Outillage Mécanique et d’Usinage d’Artillerie (SOMUA), cessent le travail et occupent leur usine. “Nous en avons assez d’être exploités et considérés comme un bétail humain tout juste bon à remplir les coffres des administrateurs“, clament-ils. Ils sont suivis dès le lendemain par les 5 000 ouvriers de Berliet, puis par ceux des aciéries Faucon, par ceux des Électrodes de Savoie, et aussi par leurs collègues des toiles cirées Maréchal, sans oublier les cheminots du dépôt de Vénissieux, les ouvriers du bâtiment, les employés des restaurants et des commerces. Au plus fort du mouvement, à la mi-juin 1936, la région lyonnaise compte plus de 25 000 grévistes. Partout, les mêmes scènes se répètent : dans les usines aux portes closes, les ouvrières et ouvriers occupent les lieux en jouant aux cartes ou aux boules, en chantant, en dansant pour tuer le temps, dans une bonne humeur et une discipline qui frappent l’opinion et qui leur vaut la sympathie générale. Il n’y a guère que Madame Gay, propriétaire d’un pressing rue Paul-Bert, pour se plaindre “de ce qui s’est passé au moment de la grève à mon magasin“.

Devant l’ampleur du mouvement, et aussi contraints par les accords de Matignon et les lois votées par le Front populaire, le patronat lâche prise. Le premier à céder face à ses ouvriers est… Marius Berliet. Chat échaudé craint l’eau froide : il accepte les revendications de ses salariés après seulement deux jours de grève. À la SOMUA, le bras de fer dure plus longtemps et se prolonge jusqu’aux derniers jours de juin. Enfin arrive la victoire, qui se conclut par une fête et une grande manifestation de joie place Sublet, le 13 juillet 1936. Et, pour la première fois de leur vie, les Vénissians vont pouvoir s’offrir des vacances, les “congés payés”, si chèrement arrachés. Enfin, pas tout à fait tous les Vénissians. Une catégorie d’entre eux va devoir attendre plus longtemps que les autres la concrétisation des accords de Matignon : les 95 employés de la Mairie communiste de Vénissieux. Leurs revendications ne furent présentées au Conseil municipal que le 14 août, et acceptées qu’après bien des tergiversations, le 23 octobre 1936. Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés !

Sources : Archives de Vénissieux, 7 F 56/3 et registre des délibérations municipales de 1936. Archives de Villeurbanne, 3 C 67 (journal Lyon Républicain) et 3 C 88 (journal La Voix du Peuple), mars à juillet 1936.

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