Cet entrelacs de lignes s’appelle un flashcode. Gisèle Godard est fière de l’effet produit par cet outil moderne figurant sur la plaquette de sa nouvelle (et dernière) saison au Théâtre de Vénissieux. “On fait le buzz avec cette plaquette” se réjouit Yolande Peytavin, la première adjointe au maire, déléguée à la culture. Il n’est pas aisé de déméler les sentiments animant Gisèle, qui quitte la direction du théâtre pour une retraite bien méritée. Celui du devoir accompli est bien là : “Quand j’ai pris la direction du théâtre, la moyenne était de 50 spectateurs par soirée. Aujourd’hui, il y en a plus de 300 !” Elle sait également qu’elle ne tiendra pas longtemps éloignée des scènes. Aussi affirme-t-elle son désir de garder un lien avec ce milieu théâtral.
L’amour de la scène est né chez elle d’un spectacle de Roger Planchon au Théâtre de la Cité, devenu en 1972 Théâtre national populaire, le fameux TNP de Villeurbanne. Nous sommes dans les années soixante et “Schweyk dans la seconde guerre mondiale” est la relecture par Bertolt Brecht du fameux texte de Jaroslav Hasek, “Le brave soldat Chveik”. Jean Bouise tient le rôle du soldat.
Fille d’ouvriers communistes à Villeurbanne, Gisèle est imprégnée de toute une histoire militante. Et pas seulement parce qu’elle a obtenu le titre de 3e plus beau bébé de la fédération du Rhône du Parti communiste ! Aujourd’hui encore, la fille de Gisèle ne dit-elle pas, en parlant de sa maman (et d’elle-même) : “Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes.” Gisèle en garde des convictions solides et n’hésite pas à se décrire comme “une militante de l’art”.
Elle commence à organiser des manifestations culturelles au sein de l’Unef telle, vers 1965, une exposition de sculptures de Gérald Martinand. “Lorsqu’on a confié la direction du Théâtre du Huitième, aujourd’hui Maison de la danse, à Marcel Maréchal, j’ai rejoint son équipe pour m’occuper des relations avec les collectivités. C’était un travail tout à fait neuf. Nous étions juste après 68. Ses mises en scène dérangeaient comme toute œuvre d’art se doit de faire. Le maire de Lyon, Louis Pradel, recevait des plaintes. La municipalité menaçait de fermer le théâtre. Il y a eu mobilisation, avec une campagne de 100000 signatures, organisée par les comités d’entreprise. J’ai gardé celles d’Elsa Triolet et d’Aragon.”
L’étape suivante se situe de 1973 à 1978 : Gisèle est nommée directrice du centre culturel Boris-Vian à Vénissieux. “Moi-même, je n’ai jamais voulu faire l’artiste, je n’en avais pas le courage, préférant être l’organisatrice de rencontres entre ces artistes et le public.” Gisèle organise un mois d’hommages à Roger Vailland, à l’issue duquel la Ville baptise son nouveau centre social du nom de l’écrivain. “Nous avions exposé un peu partout, à la mairie, à la bibliothèque, au centre social les écrits intimes de Vailland et des photos magnifiques signées Rajak Ohanian ou Marc Garanger. Nous avons ensuite fait la même chose avec Pablo Neruda et Aragon, en présence de Jean Albertini. Nous avons présenté l’écrivain kirghize Aïtmatov, qu’Aragon avait fait connaître en France.”
Dans le cadre de la mission de décentralisation du TNP, Gisèle accueille sous un chapiteau aux Minguettes un spectacle d’Annie Fratellini (qu’elle reprogrammera au Théâtre de Vénissieux). Elle décrit cette période comme “un vrai bouillonnement culturel”.
En 1977, Charles Hernu élu maire de Villeurbanne, crée le service des affaires culturelles qu’il confie à Yvon Deschamps. “Je suis partie à Villeurbanne, où tout était à faire, reprend Gisèle Godard. Très vite, je me suis occupée du secteur arts plastiques, avec des expos permanentes dans le hall de l’hôtel de ville. J’ai lancé une politique d’achat d’œuvres dans la ville, concrétisée entre autres par le Totem de Rougemont ou la sculpture d’Anne et Patrick Poirier au Tonkin.”
Retour à Vénissieux en 1991
Tchen Nguyên et Serge Liandrat, respectivement secrétaire général et secrétaire général adjoint de la mairie de Vénissieux, demandent à Gisèle de créer une direction culturelle. Puis, après le départ du directeur du Théâtre de Vénissieux, Michel Camuzat, la mairie propose cette deuxième direction à Gisèle : “J’étais le matin en mairie et l’après-midi au théâtre. J’ai pris la direction totale du théâtre en 1995. Je n’ai pas du tout hésité. Je retrouvais le contact avec la création et je désirais trouver un nouveau public et mettre les gens directement en contact avec l’art.”
Alors, Gisèle part au “bugne à bugne”. “C’est elle qui m’a appris l’expression”, sourit Martine Souvignet, alors adjointe au maire déléguée à la culture. Elle ajoute : “Elle savait ce qu’elle voulait, Gisèle, qui disait souvent qu’il n’était pas né celui qui la ferait reculer, capituler, abandonner !”
Car notre amie a du caractère et des idées bien précises sur sa mission. “Nous avons tenu ensemble contre vents et marées pendant neuf ans, reprend Martine Souvignet. Nous étions deux tempéraments ! La collaboration a été de qualité et elle m’a beaucoup apporté. Gisèle avait des convictions et une expérience, mais quelques difficultés à appréhender l’institutionnel. Je lui ai apporté un certain savoir-faire.” Le sénateur Guy Fischer, alors premier adjoint au maire de Vénissieux, insiste sur ses qualités : “La passion, la connaissance des choses du terrain, l’envie d’aller se frotter aux difficultés, de rassembler des gens pour trouver ensemble des solutions.”
Très vite, Gisèle constitue son équipe au théâtre (“Une équipe formidable à qui j’espère avoir filé le virus”) et accueille de jeunes compagnies qui ont beaucoup à prouver… et qui font leurs preuves. “Elle peut légitimement s’enorgueillir, témoigne encore Guy Fischer, d’avoir été à l’origine, depuis 1997, de l’accueil de huit résidences d’artistes et de 45 créations, fruits de jeunes compagnies théâtrales émergentes.”
De Nicolas Ramond et ses Transformateurs, première résidence, à Joris Mathieu et Haut et Court, dernière en date, Gisèle sait que beaucoup de choses ont changé, y compris dans sa demande et son approche. “L’œuvre se donne à un public de moins en moins large et touche beaucoup plus là où il faut. Dans les quartiers, les milieux privés de tout cela, on ne propose jamais de rapport à l’intime. C’est ce que nous avons essayé de créer avec Joris et ses “Chambres” montrées à Division-Leclerc et ailleurs et cela a été une grande réussite !” La parole artistique, assure encore Gisèle, ne peut être portée que par l’artiste (“sinon, elle est dénaturée”). Et de citer encore Philippe Vincent, KompleXKapharnaüM et quelques autres.
“Gisèle a toujours insisté sur les textes engagés et n’a jamais eu une programmation très classique, reconnaît Yolande Peytavin. Elle n’a jamais cédé à la tentation de la facilité. La qualité a toujours été sa priorité, avec un art vivant qui nous bouscule. J’ai entendu certains déplorer sa programmation, qu’ils jugeaient “élitiste”. Il y aurait donc une culture pour un certain public branché et une autre en direction de ceux qui ne le sont pas ? La culture est pour tous et il ne faut surtout pas la tirer vers le bas ! Je salue également le travail de Gisèle avec les scolaires.
“Elle s’en va en laissant une maison en ordre. Françoise Pouzache, qui lui succède, arrive de Givors. Son engagement pour le théâtre vivant nous correspond. L’administrateur du théâtre, François Clamart, parti également, est remplacé par Sébastien Duenas. Le passage de relais se fait dans de bonnes conditions parce que le théâtre est une belle construction, un socle costaud avec des atouts et des acquis.”
La présentation de la nouvelle saison du Théâtre de Vénissieux aura lieu le 15 septembre à 18h30.
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