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Théâtre de Vénissieux : la tournée des grands Dick

Joris Mathieu, le metteur en scène, et Jérémy Zucchi, futur auteur d'une étude sur Philip K. Dick

Mort il y a presque trente ans, l’auteur de science-fiction Philip K. Dick est loin d’être oublié. La preuve en a été donnée vendredi dernier au Théâtre de Vénissieux, où de nombreuses personnes ont suivi l’hommage que lui rendaient Joris Mathieu et sa compagnie Haut et Court. Ce chantier de création devrait être suivi, la saison prochaine, d’une création.Tout a commencé par une très brillante conférence du non-moins brillant Jérémy Zucchi, un jeune chercheur qui connaît sur le bout des doigts l’écrivain et les adaptations cinématographiques tirées de son œuvre, avouées (“Blade Runner”, “Planète hurlante”, “Total Recall”, “Minority Report”, “Scanner Darkly”, “L’agence”) ou non (“Matrix”, “The Truman Show”).
Dans cette tournée des grands Dick, où il fut question du “Maître du haut château”, “Ubik”, “Coulez mes larmes, dit le policier” ou de “Roog”, sa première nouvelle vendue, Jérémy Zucchi a également abordé la vie de l’auteur, sans doute moins connue du grand public : la mort rapide de sa sœur jumelle après leur naissance, parce qu’elle avait été mal nourrie par leur mère ; la cruauté de cette dernière qui, plus tard, avouera à Dick (mais n’est-ce pas aussi le signe d’un humour noir dérangeant, preuve de sa culpabilité ?) : “Il a mieux valu que ta sœur meure : de toute manière, elle aurait été boîteuse, je lui avais brûlé la jambe avec une bouillotte.”
Cela et l’usage abusif de drogues en tous genres ont été, certes, des moteurs pour Philip K. Dick mais ne suffisent pas à expliquer le génie de l’écrivain.
Jérémy décline l’œuvre de Dick en trois grands questionnements. Qu’est-ce que l’humain ? Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce que le divin ? “Ses personnages, explique-t-il, sont souvent plongés dans un univers pour lequel ils n’ont pas de recul.” De cette série de romans et nouvelles hétérogènes, balançant entre le réalisme (mais cette tendance-là dans les écrits de Dick a toujours été rejetée par les éditeurs) et science-fiction (“Un suicide artistique, indique le conférencier, pour un écrivain américain digne de ce nom”), on a souvent relevé l’hétérogénéité. “Mais la réalité, répondait l’écrivain, est elle-même un bordel !”
Intarissable et très intéressant, Jérémy Zucchi évoque tout ce que l’on trouve dans les romans dickiens, des mondes parallèles aux univers virtuels, jusqu’au délire mystique qui apparaît à partir de 1974 : “Dans un de ces textes, nous vivons alors dans un monde virtuel. En réalité, l’empire romain n’a pas pris fin.”
“Était-il fou ?, se demande Jérémy. À un moment donné, il y a quelque chose qui a dû un peu cramer. Ses personnages font de plus en plus preuve d’une absence d’empathie, ce sont des autistes, des schizophrènes qui ont une perception étrange de la réalité.”
Les spectateurs sont ensuite appelés à pénétrer plus avant dans ce monde futuristo-dérangé. Ils se retrouvent dans la cafétéria de la Maison du peuple – en fait un funerarium, lieu de recueillement où l’on célèbre la mémoire de M. Sarapis, récemment cryogénisé. Nous nous retrouvons donc dans l’adaptation d’une nouvelle, “Ce que disent les morts”, devenue pour la scène “Au revoir M. Sarapis”.
C’est un périlleux exercice auquel se livre avec honneur et intelligence Joris Mathieu en proposant toute une soirée autour de Philip K. Dick. L’univers dickien est-il en effet compatible avec une création française, tellement il est typiquement américain, jusque dans ses névroses ?
Avec la rapide incursion proposée ensuite dans ce monde curieux où les statues se mettent à parler, un travail nourri par les ateliers avec l’Atelier de création 2011 du Théâtre universitaire de Nantes, on se dit que les Français (qui avaient déjà adapté au cinéma “Confessions d’un barjo”) ont sans doute une chance dans les sociétés barrées issues de la plume de Dick. Avec encore un peu plus de construction, davantage d’images fortes et un savant mélange entre la SF, l’intériorisation et la critique politique, me voilà rassuré : Joris Mathieu, qu’on a pris intérêt à suivre tout au long de ses déclinaisons des “Anges mineurs” d’Antoine Volodine (montrées à Vénissieux depuis plusieurs années) tient un sujet en or. Et il saura en faire quelque chose d’abouti !

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