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Sous les truelles des archéologues, 19 000 ans de passé vénissian

Pendant plus de trente ans, de 1985 à 2015, les archéologues ont multiplié les chantiers de fouilles à l’intérieur et autour du vieux Bourg de Vénissieux, découvrant ainsi des pans entiers d’un passé complètement ignoré.

Années 1980. La rénovation du Bourg bat son plein. Les maisons vieilles de plusieurs siècles, parfois en bien mauvais état, cèdent la place à des immeubles neufs. Attirés par la possibilité d’avoir ainsi une fenêtre ouverte sur le Vénissieux du Moyen Âge, les archéologues accourent. Les premiers se contentent d’abord de surveiller le travail des pelles mécaniques, en prenant des photos des vestiges découverts et sans pouvoir vraiment fouiller. Vénissieux n’est pas Lugdunum, la priorité demeure aux bétonnières.

Mais tout change en 1986. Cette année-là, un jeune garçon jouant sur le plateau des Minguettes découvre dans un talus aménagé avec de la terre provenant de la place de la Paix, une foule de céramiques très anciennes. Il les montre autour de lui. Pas de doute, elles datent de l’âge du Bronze final, entre 1400 et 800 ans avant Jésus-Christ.

Les archéologues se précipitent pour fouiller le talus, recueillent plus de 5000 tessons, et comprennent qu’un site majeur a été détruit lors de la construction de l’immeuble « Rencontre » (fouille P. Hénon, 1986). Dès lors, le regard sur Vénissieux change du tout au tout : le centre-ville devient une zone archéologique sensible, rendant les fouilles obligatoires avant tout chantier de construction. Et les découvertes s’enchaînent, toutes plus incroyables les unes que les autres.

Comme ce sol d’habitat de 32 m2 retrouvé rue Gambetta, à plus de deux mètres de profondeur ; il était équipé d’un foyer dont les charbons de bois, datés par la méthode du carbone 14, donnent une date invraisemblable : ils ont plus de 19 000 ans, et prouvent que Vénissieux était déjà occupée par les hommes préhistoriques du Solutréen (fouille T. Vicard, 2008).

À l’époque du Néolithique, qui voit l’invention de l’agriculture, les hommes sont aussi présents, qui s’installent vers 3000 avant J.-C. entre la rue Marcel-Paul et la rue Gambetta, et y sèment céramiques et silex taillés (fouille S. Nourissat et T. Vicard, 2002). Puis sous la Protohistoire, alors que l’humanité invente la métallurgie, les habitats se multiplient.

À l’angle ouest de la rue Jean-Macé et de la place de la Paix, l’âge du Bronze final a ainsi livré des foyers, des céramiques, et surtout des fosses ayant servi de silos — dont l’une, de 1,80 m de diamètre, fut réutilisée pour enterrer un adulte, mort vers 1490-1265 avant J.-C. (fouille J.-L. Joly, 1999). Mais pour se risquer à parler vraiment de « village », les archéologues attendent la seconde moitié de l’âge du Fer, entre les 5e et 1er siècles avant notre ère.

Alors fleurissent les regroupements de maisons, aux murs de torchis appuyés sur des poteaux de bois, dont on a retrouvé les trous d’implantation par centaines sous et autour de l’actuel supermarché Casino, entre l’avenue Marcel-Paul et la rue Gambetta (fouilles S. Nourissat et T. Vicard, 2000, 2002). Ces ancêtres et contemporains d’Astérix et d’Obélix s’adonnent à l’agriculture, à l’élevage et à l’artisanat, et sont suffisamment aisés et raffinés pour se parer de beaux bracelets en bronze. Ils importent aussi des céramiques grecques ou d’inspiration grecque, comme des amphores et des poteries peintes « pseudo-ioniennes », venant de Marseille ou du sud de la Drôme.

À côté de ces riches découvertes, la période romaine apparaît comme le parent pauvre du patrimoine archéologique vénissian. Alors même que Vénissieux – Viniciacum en latin -, doit son nom aux Gallo-Romains, ceux-ci n’ont laissé que quelques dizaines de fosses, deux petits bâtiments des 1er-2e siècles de notre ère – dont un probablement en pisé, construit à l’emplacement du Casino actuel -, et surtout des fossés dessinant les contours de parcelles agricoles ou de cours et de jardins (fouilles J.-L. Joly 1993, 1999 et T. Vicard 2002). Les archéologues restent donc sur leur faim. Une villa romaine se cacherait-elle encore sous le Bourg ?

Vénissieux grenier à blé de Lyon ?

Quoi qu’il en soit, la fin de l’empire romain marque une rupture dans l’histoire vénissiane. Passé les 4e et 5e siècles, son territoire apparaît dépeuplé, et ne livre plus qu’un fond de cabane troglodyte de 10 m2, creusé aux 6e-7e siècles à la hauteur du 20 rue Gambetta (fouille T. Vicard, 2008). Tout change après l’An Mil. Au 11e siècle, durant l’une des plus belles périodes du Moyen Âge, Vénissieux se dote d’une enceinte en bois équipée d’un fossé circulaire de 80 m de diamètre, large de 5 m et profond de 4, enserrant peut-être un château mais surtout un village et son église (fouille S. Motte, 1986). Qui en est à l’origine ? Mystère. Peut-être un seigneur laïc, à moins qu’il s’agisse des religieux du prieuré de Vénissieux.

Toujours est-il que la population s’accroît à l’abri du rempart, et met intensément en valeur les paysages environnants en cultivant des champs de céréales. La preuve ? Pour conserver leurs récoltes, les Vénissians creusent aux 10e-12e siècles des centaines de silos souterrains pouvant contenir dans les 600 et jusqu’à 10 000 litres de grains (fouilles T. Vicard 2000, 2002, 2007, 2008, C. Bellot 2013, F. Bonvalot 2015). Ces silos sont si nombreux qu’ils forment une couronne entourant le rempart jusqu’à 200 m de distance, ce qui a amené certains archéologues à se demander si Vénissieux n’aurait pas été, à l’époque médiévale, un grenier à blé alimentant Lyon.

 Enfin, au 13e ou au 14e siècle, craignant probablement les guerres entre Savoyards et Dauphinois, Vénissieux se protège derrière une enceinte plus grande et cette fois en pierre, dont le rempart court sur 320 m de long et au moins 4,5 m de haut, et qui était précédé par un fossé de 13 m de large (fouille J.-L. Joly, 1993). Les fouilleurs purent l’observer au cours de leurs chantiers, tout comme vous pouvez le faire encore aujourd’hui : les maisons bordant la bien nommée rue du Château, au centre du Bourg, suivent parfaitement son tracé.

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