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Roman graphique : de Vénissieux à Tora Bora

Alors que les États-Unis célèbrent le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre et que leurs troupes ont quitté Kaboul, les éditions Delcourt/Encrages publient Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden sur le parcours chaotique de deux Vénissians partis en Afghanistan.

Alors que les États-Unis célèbrent le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre et que leurs troupes ont quitté Kaboul, les éditions Delcourt/Encrages publient Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden sur le parcours chaotique de deux Vénissians partis en Afghanistan.

Ambitieux est le premier mot qui vient à l’esprit. Et ambitieux, Jérémie Dres l’est forcément. Il publie aux éditions Delcourt/Encrages une épaisse bédé de plus de 200 pages dont il signe le scénario et les dessins, Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden. Et se base sur le parcours chaotique de deux Vénissians, Mourad Benchellali et Nizar Sassi, partis suivre la filière afghane et dont l’histoire avait fait grand bruit à l’époque. L’époque ? Nous étions en 2001 et les tours jumelles de New York, tombées sous l’attaque de djidahistes lancés par Oussama Ben Laden, allaient devenir l’un des marqueurs importants de ce début de XXIe siècle. Une date dont les Américains viennent de célébrer le vingtième anniversaire.

Comment l’auteur avait-il entendu parler des deux Vénissians ? Il le raconte à la cinquantième page seulement : en écoutant un podcast, il tombe sur une émission d’Olivier Minot consacrée à Mourad et Nizar.

Comprendre un cheminement

« On est de la même génération, commente Jérémie Dres, et, à l’époque, j’étais passé à côté de cette histoire. Je les ai entendus sur France Culture dans un reportage des Pieds sur Terre. Mes précédents livres, où je me suis souvent mis en scène, étaient des quêtes familiales, identitaires. Pour celui-là, il n’était pas pertinent de commencer par moi mais par les personnages eux-mêmes, leur jeunesse à Vénissieux, et comprendre leur cheminement. »

Ce cheminement, c’est pour des raisons culturelles (mieux comprendre sa religion) et futiles (se faire un nom dans le quartier) qu’ils l’empruntent. De Vénissieux à Guantanamo, la route est longue qui leur permet de prendre conscience. Arrive enfin le combat du maire de l’époque, André Gerin, pour les sortir de la prison américaine et les ramener en France, où ils seront jugés.

« Je l’ai rencontré et son point de vue était hyper intéressant. Il parle souvent d’eux dans ses interviews car il a été en première ligne. C’était un vrai combat pour lui. Il fera partie du tome 2, qui devrait sortir l’an prochain. »

Ce qui est tout aussi primordial pour Jérémie est ce que sont devenus aujourd’hui Mourad et Nizar. « C’est très important : ils utilisent leur expérience pour intervenir auprès des jeunes et leur parler des erreurs faites à cette époque. » Il ajoute : « Je voulais qu’ils soient des témoins, pas des accusés. Avant le 11 septembre, peu de gens connaissaient Ben Laden et Al-Qaïda. Ils ne savaient pas où ils mettaient les pieds. »

Pour accréditer cette version, on peut se reporter à une interview donnée par Mourad Benchellali au Nouvel Observateur en 2006, alors qu’il sortait de Fleury-Mérogis : « Je ne me suis pas retrouvé par hasard en Afghanistan, mais par erreur. »

Pour Jérémie Dres, le déclic s’est fait à la première rencontre avec Mourad. « Il a été intéressé tout de suite. C’était une manière de témoigner. »

Un titre provocateur

Si le titre peut paraître provocateur pour le lecteur, Mourad, lui, l’a trouvé réducteur. Jérémie en convient : « Il est vrai que le passage de Ben Laden dans le camp — dans le récit, Mourad raconte cela à une classe — arrive au milieu de l’histoire. C’est ce que j’aime. J’ai suivi Mourad dans les lycées et chaque fois qu’il en parlait aux élèves, leurs réactions faisaient sens. »

C’est à un réel travail de journaliste que s’est livré Jérémie Dres. Ainsi, il contacte Ali Soufan, expert du FBI, enquêteur principal sur l’attaque de l’USS Cole, le 12 octobre 2000, à Aden. « Il a quitté le FBI en 2003-2004 et a créé depuis sa propre agence. Je devais me rendre à New York pour le rencontrer avant la première vague de Covid. Je n’ai pas pu y aller et le rendez-vous s’est fait par Zoom. Pour la bande dessinée, c’était pas fun aussi j’ai situé la rencontre dans le parc des Buttes-Chaumont, que je connais bien, et j’ai placé autour de nous tous ces gens que je voyais régulièrement marcher, courir. Dans mes précédents livres, j’ai toujours aimé faire intervenir des experts. Cela aide à prendre de la distance. Je voulais quelqu’un de terrain, qui puisse parler des camps secrets afghans, de Finsbury Park à Londres… J’ai été surpris qu’Ali Soufan me réponde. Il intervient pas mal dans les médias américains et si ces propos peuvent faire réfléchir la jeunesse d’aujourd’hui, c’est une bonne chose. »

Une construction graphique habile pour un scénario fort

De plus en plus utilisé, le terme de roman graphique est tout à fait légitime ici. Jérémie Dres découpe son récit en autant de chapitres, retours en arrière, passages en noir et blanc dans une histoire en couleurs, cases qui disparaissent ou, soudain, s’élargissent jusqu’à tenir sur une page…

Cette construction consolide un scénario déjà fort. Quand on le questionne sur son travail, Jérémie cite les auteurs qu’il apprécie : Joe Sacco et ses bédés sur la Palestine ou la Bosnie, Guy Delisle qui se met en scène dans des déambulations se déroulant à Shenzhen, Pyongyang, Jérusalem… « Une autre inspiration a été Guantanamo Kid, la bédé de Jérôme Tubiana sur le plus jeune détenu. Mourad et Nizar l’ont d’ailleurs rencontré. »

On l’a mentionné, le livre est épais et se dévore. Une fois la dernière page refermée, on a hâte de connaître la suite. Il faudra patienter un an.

Jérémie Dres : Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden, éditions Delcourt/Encrages, sorti le 25 août 2021.

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