Est-ce qu’une vie entière tient dans une boîte ? Non, mais on peut y faire entrer des petits bouts d’existence. Ce qui déborde est écrit et accompagne la boîte.
Chaque année depuis 2016, des résidentes de l’Ehpad La Solidage suivent l’atelier “Je me souviens”. Cette fois-ci, la psychologue Sonia Faure et l’ergothérapeute Émilie Chappuis ont accompagné pendant six mois Nicole Alloin, Maria-Teresa Goncalves, Maxelle Laveille et Jeanne Maljournal dans un processus de résurgence de l’histoire personnelle et familiale, couchée sur le papier et placée dans les petits coffres exposés à l’Ehpad de Vénissieux.
Souvent malicieux et toujours touchants, ces petits bouts de vie racontés en quelques lignes et mis en boite, les voici, tels qu’ils vous sont offerts par ces dames.
Mais tu m’amènes en France ? J’ai pensé que c’était l’Amérique !
Maria-Teresa Goncalves
“Quand je suis arrivée à Perrache, j’ai vu le 5 janvier beaucoup de neige, il faisait froid. J’ai dit « c’est la France ? Tu m’amènes où ? ». Le climat ça allait pas avec moi !
A l’époque y’avait que la France qui était riche. A l’immigration on partait les jeunes clandestins. On voulait améliorer la vie, on voulait changer. Quand je suis arrivée j’ai dit « mais on est en France ici ? » J’ai laissé une maison avec un petit confort, ici le par terre c’était de la terre. Le WC il était dehors dans une cabane en bois. Ma France c’était départagé avec des planches en bois fines contre plaquées, même pas !
Je me suis fait des amies, des voisins et voisines portugaises évidemment. Je voulais parler français mais j’arrivais pas. Il y en a je me cachais d’elles pour pas parler français !
Je suis née à Paquida un petit bled de campagne. C’est très joli. A peu près 100 habitants. Au centre du Portugal. Je suis née à la maison, dans le temps c’était ça. Y’avait pas mal d’animaux chez moi : des chèvres, un cochon, des lapins, un chat, des poussins quand les poules faisaient des poussins. On faisait du lait des chèvres et des moutons.
J’aimais bien faire la cuisine, mais chez ma mère c’était vite fait vite fait ! Le bacalhau, tout le monde était obligé de manger du bacalao ! Y’avait pas de viande. On faisait le bacalhau avec des oignons, des patates et des navets. On faisait aussi des beignets à la maison. On mettait le sucre et la cannelle c’était très très bon !
J’allais à l’école à la ptite école de Paquida. J’allais à pied, on n’était pas loin dans le village. L’école elle était belle, la professeure c’était une femme qui venait dans notre village. Elle s’appelait Mme Coussean, elle était gentille. Mais dans le temps, ils nous tapaient bien quand on faisait des bêtises ! On n’avait pas grand-chose mais on n’était pas malheureux, au contraire ! On était plus heureux qu’on est aujourd’hui !
Je me suis mariée jeune. 21 ans. Il s’appelait Jose Goncalves. On était des voisins. On s’est marié au village. Au village on se connaissait tous Il y avait un monsieur qui jouait l’accordéon. La cérémonie c’était à l’église et puis il y avait une dame spéciale qui faisait à manger pour les mariages. Ma robe elle était belle ! C’était une couturière qui l’avait faite. C’était un mariage de riches ! 2 jours de fêtes.
Au Portugal, on sait bien faire la fête ! Noël par exemple, à minuit c’est là que Jésus vient de naitre. On sonne les cloches, on compte 12 coups de cloches et après on met le feu énorme énorme et après tout le monde danse autour du feu !
Au Portugal, on sait bien faire la fête !”
Je suis fille de colonel, nous autres on se mélangeait pas
Maxelle Laveille
“Je suis née, bin bêtement, comme tout le monde en France, le 21 mai 1933, du côté de Lons le Saulnier, au-dessous des Houches
J’ai grandi dans une caserne, j’étais fille d’officier, on se fréquentait pas du tout avec les pas gradés, c’était deux mondes à part.
Chez nous, y’avait une dame qui faisait le repas, on n’allait pas faire la gamelle nous autres, c’était deux mondes bien murés, on se mélangeait pas.
On allait pas jusqu’à vouvoyer les parents quand même mais on parlait peu à nos parents. Notre papa, le colonel il s’occupait pas de nous, on n’avait pas de contacts avec nos parents. On ne croyait pas au bon dieu, nous autres, ce qu’on ne voit pas on y croit pas…
A l’école, j’étais bonne élève, j’étais copine avec tout le monde, il fallait que je parle de moi, je l’avais toujours ouverte !!!
J’avais toujours la gueule ouverte, mais j’ai jamais pris de zéro et de lignes, par contre une fois j’ai pris la porte, une fois qu’on prenait la porte, on l’a prenait pas dans l’autre sens…
J’ai passé mon certificat d’études, j’ai eu mon brevet, je rêvais d’être médecin, j’ai toujours voulu faire médecine. Les femmes en médecine on les comptait sur les doigts de la main à l’époque, j’ai passé le concours, j’en ai passé un autre. Ils se passaient tout le même jour. J’en ai eu deux trois.
Moi, je suis pas une bonne femme qui change souvent. J’avais mis le dévolu sur la médecine, j’y suis restée et puis j’ai fait infirmière. Je suis restée au statut d’infirmière dû à ma fragile santé.
La moto, je crois que les premières filles qui faisaient de la moto étaient remarquées, c’est peut-être pour ça que j’en ai fait.
Mon mari, il n’avait pas fait des études. Il est bijoutier joaillier.
Il n’était pas militaire ça risque pas…”
Si y’a un petit frère, tu seras la marraine
Nicole Alloin
“Et bien moi je suis née à Morestel dans la ville des peintres. Je suis considérée comme prématurée car j’suis arrivée en avance. Mes parents étaient gérants du casino donc ça faisait fissa ! Mon père marchait à la trique avec ma mère. Lui, il était plus fantaisiste. Il avait tous les travaux de force du magasin. Quand ma mère criait « Nicole Boyer, tu vas recevoir ! », je prenais mes jambes et je partais à grands coups. Ma mère était très sévère mais m’a énormément gâtée.
A 4/5 ans après je suis partie à Villeurbanne, cours Tolstoï , mes parents ont pris une gérance plus importante.
Je suis marraine de mon frère. Ça a été ma récompense d’une longue période d’éducation. J’étais fille unique, je pleurais car je voulais un petit frère et ma mère m’a dit « si y’a un petit frère, tu seras la marraine ». J’avais 12 ans, Cours Gambetta, j’avais le droit de le promener dans le landau.
J’ai été évacuée deux fois pendant la guerre. J’ai pas pu aller chez mes grands-parents dans la Loire car c’était pas un endroit sûr. Je suis allée chez Madame Niguet dans le Beaujolais. C’était à Qunicié, Durette Quincié en dessous de Beaujeu.
Un jour j’ai eu un problème à une dent. Madame Niguet a fait venir un médecin de Beaujeu, il a dit « Ah mais c’est une évacuée ! » Il est parti avec un coup de pied dans le derrière : « Evacuée ou pas, c’est une enfant ! ».
Les Niguet étaient des gens très bien, qui n’ont pas fait d’histoire. Ils étaient producteurs de vin. Au vendanges, on était contents les gamins ! Dans le Beaujolais, y’avait pas les allemands. Y’avait le maquis. Dans les maquisards, y’a des gens qui sont enrôlés pour faire la rafle pour eux. Ils venaient, nous mettaient tous contre le mur avec leur mitraillette, et ils raflaient tout.
La fin de la guerre, c’était la fête. On a mangé une bonne soupe de riz. Après on nous a embarqués à Lyon et la vie à tant bien que mal, repris son cours.
J’ai rencontré mon mari au judo. C’est ma mère qui m’avait mise à l’école au judo. Le judo, c’était considéré comme un sport de garçon, moi je préférais la danse classique.
J’ai commencé la danse à 5 ans avec Rosette Raymond. J’en ai fait jusqu’à 22 ans. Y’avait un studio télé sur les quais du Rhône, notre professeure avait signé un contrat avec Monsieur Rose. On passait à la télé régulièrement dans une émission, c’était le samedi. C’était de la danse de corps de ballet.
J’ai travaillé à la Banque. C’était la BNCI, rue Grenette. Y’avait une ambiance… c’était la foire d’empoigne ! Mais moi, je n’y prêtais pas attention.
J’ai eu mes enfants : ma fille, puis mon fils. Deux enfants qui s’entendaient, une vie de famille qui tourne rond.”
Moi, je suis d’une famille de commerçants, les techniques de vente c’est inné
Jeanne Maljournal (absente lors de la présentation des boites à souvenirs)
“J’étais en pension à l’âge de 6 ans, c’était pas marrant, c’était religieux. Y avait des sœurs qui faisaient à manger, y’en a qui faisaient l’école et y’en a aussi qui nous faisaient laver les pieds. Y’avait des bassines pour ça. On se levait tôt pour la prière, y’avait les vêpres aussi….
La pension elle était pas loin de chez nous. A la maison, on faisait le pain d’un côté et où on vivait c’était de l’autre. On allait chez nos parents le dimanche à midi et on repartait le soir.
Mes parents ont laissé la boulangerie et ont pris un bureau de tabac/café. Mon père avait trop de travail il avait fait la guerre, il avait été blessé. Au café il s’occupait de rien, c’est ma mère qui s’en occupait puis nous. On vendait des trucs à fumer, des gauloises, des timbres, des journaux et des magazines. Quand nos parents nous voyaient pas on lisait : Mickey, Picsou, des trucs comme ça…
J’ai rencontré mon mari à 18 ans. Je l’ai rencontré au bal à la Maison du Peuple, c’est lui qui m’a invitée pourtant il savait pas danser… Je suis tombée amoureuse tout de suite de lui. Il s’appelait Gilbert. Il était sérieux. Il travaillait déjà : Il commençait à être boucher.
Mon mari et moi on a pris une boucherie. On faisait les marchés. Fallait y aller, c’ était fatiguant. On avait pas le temps de se faire des copains sur les marchés. Ça marchait bien pour nous. La charcuterie ça partait bien : le jambon, le saucisson, et maintenant j’en trouve plus du saucisson comme on avait !!!
Moi j’ai arrêté la boucherie et j’ai travaillé aux Galeries Lafayette.
On avait des prix, mais c’était pas terrible. Le super chef c’était un monsieur. Il passait il était (droit) comme ça Il les choppait celles qui travaillaient pas ! J’ai été au rayon jouet pour Noël parce que je vendais bien. Ce que je vendais le plus c’était les chevaux à bascule. Je crois que c’est inné les techniques pour vendre. Y’avait le tram. C’était aux Cordeliers. Y’avait une bonne ambiance.
On avait une voiture. Une vieille voiture. J’ai le permis moi. Le week end on prenait la voiture pour aller n’ importe où, pour se promener.
On est beaucoup allé à la montagne. Le lundi on travaillait pas, on allait au ski. Je faisais toutes les pistes même les noires.
Moi, j’aimais pas la mer.”
François Toulat-Brisson
12 mars 2020 à 17 h 25 min
Bonjour, hélas, nous ne pouvons pas rendre plus net l’arrière-plan de la photo, la mise au point ayant été faite sur le sujet de la photographie, la personne au premier plan.
Avec nos regrets, la rédaction.
BOULAS
12 mars 2020 à 15 h 05 min
Bonjour,
Suite à votre article sur la Solidage, pouvez-vous m’envoyer la 3ème photo , car on voit ma tante sur un fauteuil, c’est la petite mémé en veste grise. elle est flou, pouvez-vous la rendre plus nette.
Merci beaucoup