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Portraits

Yann Cosruer : les palettes du peintre

Ancien basketteur à Vénissieux, Yann Cosruer s’est tourné vers l’art, utilisant des matériaux a priori détournés de la création plastique. Avec un résultat convaincant.

« Pourquoi pas ? » C’est la question que s’est posée un jour Yann Cosruer. Oui, pourquoi pas ?
Ce fils d’enseignants a grandi à Max-Barel mais au Centre et, plus tard, au Moulin-à-Vent. Une fois le bac obtenu, il s’inscrit un an en Lettres modernes et trois en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Alors qu’il a une vingtaine d’années, il travaille au Terrain d’aventures avec Tayeb Boussouar. « Toutes les semaines, je tenais un atelier vélo pour réparer ceux des gamins avec des bouts de ficelle. On faisait aussi des sorties au parc de Parilly ou à Poncin, dans l’Ain. »

C’est à Parilly justement qu’Albert Digbeu amène un jour son fils Alain et son copain Yann pour leur montrer l’art du dribble et du panier. « Le basket est devenu ma passion. Là, s’entraînaient des anciens qui avaient joué en pro. Nous, on avait 12-13 ans et on s’est fait humilier face à eux mais on a pris un plaisir pas possible. Je me suis inscrit à l’ALVP en benjamin. »
Alain est devenu un joueur international. Yann, lui, a joué en Région. Il continue aujourd’hui à pratiquer son sport de prédilection et entraîne une petite équipe vers Vienne. Pendant tout ce temps-là, il a exercé « dix mille métiers » : bagagiste à Orly, commercial, patron d’une société au Cap d’Agde, avec boutique sur la plage et école de cerfs-volants… Marié et père de deux enfants, il prend un congé parental d’éducation pendant trois ans et se met à agrandir la maison achetée aux alentours de Vienne. « Avec des palettes, j’ai fabriqué des meubles de jardin. C’est trop bien, tu devrais les vendre, me conseillait-on. Je me suis mis à créer des trônes de pirates, des fauteuils-serpents… Puis, comme j’en avais une tatouée sur le mollet, j’ai fait une calavera en relief et en couleurs, une tête de mort comme les représentent les Mexicains. La technique est venue comme ça. Je l’ai mise en photo sur mon blog et on m’a demandé si je la vendais. Depuis, je ne fais plus que ça. »

« Mon objectif est de n’utiliser que des matières qui ne sont pas faites pour la création artistique. Comme les palettes. Avec des outils qui, eux non plus, ne sont pas faits pour. »

On comprend mieux à présent le pourquoi du « Pourquoi pas ? » Pourquoi pas créer et en faire son métier ? D’autant plus que Yann ajoute à son travail artistique d’autres dimensions. « Mon objectif est de n’utiliser que des matières qui ne sont pas faites pour la création artistique. Comme les palettes. Avec des outils qui, eux non plus, ne sont pas faits pour. Comme une défonceuse. Cet ensemble de contraintes oblige à la créativité. Je revendique aussi une démarche éco-responsable. Mes palettes ne sont pas consignées — celles-là sont d’ailleurs chimiquement traitées et je n’en ai pas envie. Les miennes sont à jeter, avec des formats un peu bâtards, qui vont être utilisées une fois pour ensuite finir dans une déchèterie. Je préfère les transformer en tableaux plutôt qu’en granules. Elles ne sont surtout pas traitées. » Et, l’hiver, les chutes finissent dans le poêle à bois de son atelier.

Yann récupère également les clous sur ses palettes, qu’il emploie, ainsi que des canettes, pour habiller ses fonds de tableaux. Il a d’ailleurs construit une mini-fonderie avec les moyens du bord. Sa signature ? Un poing levé et le signe du recyclage, un logo qu’il a fait fabriquer à Millery. Son inspiration ? « Tout est imbriqué : la politique, la culture générale, l’écologie… C’est la sérendipité. »
Alors, artiste ou artisan ? « J’ai vendu des tableaux avant de me dire artiste. Aujourd’hui, je vis de ça, c’est mon activité principale. » Quoi qu’il en soit, Yann reste opposé à une reproduction à l’infini de motifs pouvant plaire aux acheteurs. La création prime tout.

Une autre qualité à mettre à son palmarès et qu’il revendique : « Je n’ai pas la culture du fric. Il en faut pour manger et élever ma famille, mais je ne fixe pas le prix d’un tableau en fonction du temps passé dessus ou de sa valeur. Puisque, à Ikea, ils sont vendus entre 100 et 150 euros, je pratique ces mêmes prix. En cinq ans, j’en ai vendu près de 400 mais le prix n’a pas changé. »

« Le plaisir reste au centre de ce que je fais ! »

La rencontre est pour lui importante. Ainsi, lors d’une exposition organisée dans le cadre de Jazz à Vienne il y a deux ans, vend-il un tableau à un jeune homme de 16 ans. « Il m’a dit que c’était sa première œuvre d’art et il m’a mis la larme à l’œil. » Il évoque aussi cet habitant des Minguettes qui paie en trois échéances de 50 euros une calavera. Autant d’attentions qui lui vont droit au cœur. « Je veux que mes tableaux soient accessibles dans tous les sens du terme. J’ai grandi à Vénissieux, j’allais pas au ski parce que c’était trop cher. »

Comme il n’aime pas trop les lieux dédiés à l’art — même s’il y est parfois présent —, Yann expose surtout « au bord du chemin » : dans des bars, à l’occasion de l’inauguration d’un skate park, dans des cafétérias d’entreprises, lors de festivals de musique, au championnat de France du dragster à Vichy, au Chopper Fest, rassemblement de bikers en Moselle… « Le plaisir reste au centre de ce que je fais ! »

Nouveau tournant dans sa carrière : un galeriste, qui a découvert son travail sur internet, est venu de Sofia lui proposer de s’occuper de lui, pour faire monter sa cote. Yann a choisi de ne laisser dans cette Poulpik Gallery virtuelle — qui, créée par des Français, expose des artistes francophones — que des œuvres plus politiques. Lesquelles sont envoyées, outre en France, au Japon, à Hong Kong, au Canada, en Suisse, en Italie, etc.

http://meubledecopalette.e-monsite.com/

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