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Les Vénissians, cibles favorites de Guignol

Au 19e siècle, la marionnette préférée des gones puisa son inspiration dans le “lac” de Vénissieux, où étaient déversées les fosses d’aisance de Lyon.

Au 19e siècle, la marionnette préférée des gones puisa son inspiration dans le “lac” de Vénissieux, où étaient déversées les fosses d’aisance de Lyon.

Quel sympathique petit bonhomme ! Vêtu comme un canut, avec une tête en bois encore plus dure que la vôtre ou la mienne, il raille du café du matin jusqu’au mâchon du soir contre le moindre empêcheur de tourner un rond, surtout s’il porte un uniforme ou s’encouronne en bourgeois. Bref, il a tout du Lyonnais bien de chez nous. Et pis l’est increvable, le bougre. Encore plus vieux qu’un ouiski ou qu’un sénateur du château des Terreaux. Bientôt 210 ans : il est d’une âge, vous dirait ma canuse. Son géniteur, le père Mourguet, l’a façonné de ses six doigts des deux mains vers les 1808, une année de Fine Napoléon. L’en avait ras le goulot à voir gongonner [ronchonner] ses clients quand il leur arrachait une dent. Alors, pour leur dérider la bouche du devant, il a billé sa main gauche d’une marionnette à tchatche, et la menotte côté droit, d’une pince de forgeron pour arracher vot’ quenotte dans un grand et claque de rire. Et ça a marché ! Les gensses sont venus à pleins cuchons pour arregarder le pestacle. Du coup l’a fallu acoquiner le Guignol d’un Gnafron, regrolleur de son état, engnôlé de Beaujolais pur sucre à embrumer les quais de Saône, et encore lui donner une fenotte (sa femme, pardi !), la Madelon, aussi douce qu’un bâton. Pis, le Mourguet a cessé de jouer les docquetteur et ouvert un thiâtre, tout près la place des Célestins, où après lui son gone a fait la pantomime pour toute la Presqu’Ile, y compris le reste de la Terre.

Pas bazuts pour deux sous, les patrons des bouchons ont copié les Mourguet à tire-larigot. A Villeurbanne, à Brindas, à Montchat, à Mousseux-au-Mont d’Or, à Trifoulié-les-Oies, on a poussé les tables et sorti les rionettes. A Vénissieux aussi, dès 1857 l’Etienne Varichon fait des tunes avec « des artistes vulgairement appelés Guignol pour distraire le public ». A faut suivre parfois, tant on y jacte en Lyonnais-Dauphinois-Suisse d’en bas ; extrait : « To la fumi de notron villagi n’in podri pas fare sorti une ronci de votron pra ». Vous n’y pigez guère ? C’est pourtant simple : « Tout le fumier de notre village ne pourrait pas faire pousser une ronce sur votre pré ». Les gones des autrefois eux, ne s’en faisaient pas faute et gigaudaient de joie. Enfin pas tous. Les Vénissians eux, faisaient souvent la bobe. Il faut dire que Guignol usait à leurs dépens de gognandises à regonfle – de nombreuses plaisanteries, comme on dit à la Cadémie, et pas d’un très bon goût.

Tenez, prenez l’histoire du Dentiste. Guignol se fait passer pour un docquetteur auprès d’un inconnu enragé des dents, pour le délester de dix francs. Il monte un stratagème avec Gnafron, imaginant un CV long comme une incisive d’éléphant : il s’appellera Chignachilus, « natif de Saint-Symphorien d’Ozon, arrondissement de Vénissieux, département de Sédan, lisière du Cantal, parlant toutes les langues, l’arabe, le grec, le latin, le dauphinois, qui se parle avec les doigts ». Gnafron doute du scenario, qui a déjà raté lorsqu’ils ont voulu marier des gnasses. Réponse de Guignol : « oui, j’avais la rage de leur prédire qu’elles épouseraient des sapeurs… et la dernière s’est mariée avec un brigadier de l’artillerie de Vénissieux ». Dans une autre pièce, pour plaire à une boutiquière chez laquelle il a une ardoise haute comme la Grand’Côte, Guignol accepte de se faire passer pour son mari, à deux doigts de trépasser, et dicte un faux testament au notaire. La dame pourra ainsi faire accroire à son amant qu’elle est riche et l’épouser dans l’année. Guignol : « Je lègue à Jeanne-Julie Birotteau, ma femme, mes deux maisons de la rue Ferrachat, ma ferme de Vénissieux, à côté du beau lac… avec ses fiacres ». Le notaire : « Que dites-vous, des fiacres ? ». Guignol : « Oui, les fiacres de ma ferme de Vénissieux… C’est des fiacres à bondon ». Le notaire : « Des fiacres à bondon ! Allons, écrivons : avec les fiacres à bondon ». Du bondon ? Voilà qui rappelle l’insulte lancée à un ami de la marionnette, dans “Les Conscrits” de 1809. Pierre-Jean, irrité : « Il a dit que j’étais un melon ! » Guignol : « Oui, oui, un melon ; et pas rien un Cavaillon, mais un melon de Villeurbanne, arrosé de l’eau du lac de Vénissieux ».

Vous ne sentez pas où est la blague ? Je vous mets au parfum. Au 18e siècle, alors que le tout-à-l’égout n’existait pas encore, les fosses d’aisance de Lyon étaient vidées de leurs « matières » par des paysans de chez nous. Ils officiaient nuitamment avec des charrettes munies de lampes rouges, dont les roues faisaient autant de bruit sur les pavés que les canons d’un régiment d’artillerie. D’où le surnom d’artilleurs donné aux Vénissians. Arrivé au village, le précieux chargement importé des derrières de cours de nos voisins était déversé dans une grande fosse pas sceptique, gentiment baptisée « le lac de Vénissieux ». Voilà d’où ce chiard de Guignol puisait son inspiration. La seule évocation de Vénissieux suffisait à donner des crampes de rire à son public. Allez, je vous en sers encore un pot bien chambré. Cette fois vous allez comprendre les allusions. Dans une pièce intitulée, « Le Déménagement », la marionnette doit plusieurs mois de loyer à son propriétaire, Canezou, et se prend de bec avec lui. Canezou : « Je veux en terminer avec vous mais à une condition, une seule, videz les lieux ! ». Guignol : « Ah ! Par exemple, c’est pas mon état [ma profession]. Je travaille pas sur cette matière ». Canezou : « Eh bien ! Je les ferai vider par l’huissier ». Guignol : « Vous irez chercher vos huissiers à Vénissieux. Faudra ben toujours qu’ils se bouchent le nez en saisissant ça ». Canezou : « Décidément, vous n’êtes qu’un fripon ».

Les spectateurs avalent ces tirades bien grasses durant tout le 19e siècle. La mode devient telle que la presse met elle aussi cet ingrédient à son menu. De 1865 jusqu’à 1895 au moins, le Journal de Guignol en torche ses papiers. En 1865, il enterre la marionnette dans le village que vous savez : « Vénissieux est le val qui embaume, où vous devez envoyer prendre l’air à toutes les vertus et à toutes les sagesses locales ». En tête du cortège funèbre, « une députation des parfumeurs de Vénissieux, portant sur un brancard le fameux tonneau de réception, ouvrait la marche ». Un autre jour, Guignol et Gnafron se moquent d’un maire de l’agglomération. Guignol : « Çui-ci à la figure enluminée ». Gnafron : « Comme moi avec mon pif, qu’a sensément l’air d’être une lanterne de Vénissieux si tellement il est rouge ». Même les annonces matrimoniales pataugent dans ces eaux : « Un artilleur de Vénissieux demande à épouser la femme à barbe ; il tient à sa disposition son cœur, deux tombereaux dont il est propriétaire, une maison en pisé et quelques économies ».

Toutes ces guignolades prirent fin vers 1900-1910, lorsque le tout-à-l’égout et les pompes à vapeur détrônèrent nos prédécesseurs artilleurs. Vins t’en-là tâter de not’ bâton, Guignol. Et pan ! C’est du Vénissian !

Sources : Jean-Baptiste Onofrio, Théâtre lyonnais de Guignol, 1890 (pièces Le Testament ; Le Dentiste ; Les Conscrits de 1809 ; Le Déménagement). Journal de Guignol, 1865-1895.

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