Parmi ces trésors sans prix se trouve aussi un dossier d’une quinzaine de pages, tapées à la machine à écrire. Son contenu ? Des chants de Noël, entonnés dans l’église de Parilly de 1945 à 1950. Ils ont droit aux mêmes égards que les récits des explorateurs de l’Amérique, et traverseront comme eux les siècles à venir. En les lisant, vous ressentez encore l’émotion des Vénissians qui les chantèrent. “Il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez musettes. Il est né le divin enfant, chantons tous son avènement”… Le curé de Parilly, l’abbé Billot, a dû choisir ces chants avec grand soin, soupesant chaque parole, reprenant chaque refrain. Ses fidèles sont surtout des ouvriers travaillant chez Berliet ; ils ont des bras d’acier, votent beaucoup communiste, n’apprécient pas toujours l’eau bénite mais ont le cœur sur la main. En ces soirs de Noël, on oubliera les querelles à la Peppone et don Camillo pour sourire aux enfants, à la famille et aux voisins. “Les bergers quittent leur troupeau et s’empressent de visiter son humble berceau (…) embrassons ce Dieu devenu pauvre pour nous et couché sur la paille”. L’allusion coule de source. Heureux, les pauvres ! L’abbé Billot s’adresse à eux, si nombreux à Vénissieux en ces années d’après guerre. Il veut se mettre à leurs côtés, les réconforter, leur donner ne serait-ce qu’un moment de répit. Conscient aussi de la diversité sociale du quartier, il entend toucher le propriétaire un tantinet aisé, autant que l’immigré fraîchement arrivé d’un village d’Italie ou d’Espagne, encore mal à l’aise dans sa nouvelle patrie. “Quand il nous aime aussi, comment ne pas l’aimer à notre tour ?” ; “Une étable est son logement ; pour un Dieu quel abaissement ! Ô rois de l’Orient, venez tous partager nos fêtes”. Pour réussir ce grand écart entre droite et gauche, riches et pauvres, migrants et dauphinois de souche, l’abbé puise son répertoire parmi des classiques connus depuis des lustres : “Il est né le divin Enfant” (1874), “Douce nuit, sainte nuit” (1818), “Venez, divin Messie” (18e s.), “Les anges dans nos campagnes” (16e s.), etc. Pendant ce temps en famille, chacun s’active en attendant minuit. Des oranges, des gâteaux, des bonbons et des jouets de toutes les couleurs s’amoncellent dans le coin d’une pièce ou devant la cheminée. Depuis quelques années, on place aussi les cadeaux des petits et des grands aux pieds d’un sapin décoré. Quelle drôle d’idée ! Cette mode nous vient tout droit des bords du Rhin. Les Alsaciens et les Lorrains, chassés de chez eux par la guerre de 1870 et venus par centaines travailler à Vénissieux, l’ont implantée dans la commune. On ne s’est pas fait prier pour les imiter.
“L’Arbre de Noël du Maréchal”
À la mairie aussi, on organise Noël. Un dossier des archives municipales en garde le souvenir. Ses pages commencent en 1941, avec des chars d’assaut en guise de traîneau. La municipalité nommée par le régime de Vichy exécute les ordres venus d’en haut. Il est encore question de fêtes, mais dans quelles conditions ! À côté de l’arbre destiné aux enfants des réfugiés “qui attendent encore leur retour dans la maison familiale”, on se soucie surtout de la “Campagne de loyauté” envers le maréchal Pétain. Noël devient prétexte au culte du dictateur. Tous les écoliers devront lui envoyer une lettre pour l’informer de leurs “efforts pour être francs et loyaux” ; en guise de réponse, “le Maréchal prononcera, entre 17 et 18 heures, un message qui sera radiodiffusé dans toute la France”. Et pour que personne n’échappe aux paroles de ce faux père Noël, la préfecture ordonne “de faire installer un poste de TSF dans la ou les salles où sera réunie la Jeunesse de votre commune”. Même son de cloche en 1942. Les arbres dressés dans les écoles, les goûters et les petits cadeaux offerts aux enfants, les colis de nourriture destinés aux personnes âgées, aux pauvres et aux blessés de guerre, donneront “au Chef de l’État un vivant témoignage de l’Union des Français autour de sa personne. Noël devra être, cette année, le Noël du Maréchal”… Peu à peu, l’obscurité nazie éteint les lumières de la fête. Participer à “L’Arbre de Noël du Maréchal” devient un passage obligé, et l’on tente d’empêcher les festivités privées : comme le P-DG de l’usine SIGMA qui, le 14 décembre 1943, annule purement et simplement celles prévues à la Maison du Peuple pour les familles de ses ouvriers. Dans les écoles, le goûter de Noël se résume désormais à 50 grammes de confiture par enfant… à condition qu’ils apportent leur pain.
Arrive enfin décembre 1944. La Résistance et les Alliés ont libéré la région lyonnaise et presque toute la France. Le jour revient, la nuit s’enfuit. Vénissieux en a chèrement payé le prix, avec 940 immeubles et maisons bombardés. Ralliant sous sa bannière les partis politiques, les syndicats, les associations, la Croix-Rouge et toutes les bonnes volontés, le maire Louis Dupic se démène pendant des mois “pour fêter malgré tout un Joyeux Noël”. Qu’importent les privations, on gâtera les enfants sous une mer de jouets et de friandises. Les usines de la commune sont appelées à verser leur obole. Certaines donnent 500 francs, Berliet 20 000, une fortune. Du coup le père Noël peut visiter beaucoup plus de bambins que prévu. On doit scinder la fête en deux pour accueillir tout le monde : une première partie le 23 décembre et une seconde le 24.
Dans son église de Parilly, l’abbé Billot se jette sur ses partitions. Voilà, il a trouvé celles qui conviennent aux circonstances : “Douce nuit, sainte nuit” ; “Ô nuit bienveillante” et “Venez Divin Messie”. Extraits : “Descendez ! Hâtez vos pas. Sauvez les hommes du trépas, secourez-nous, ne tardez pas. Sauvez nos jours infortunés. Pour nous livrer la guerre, tous les enfers sont déchaînés. Si vous venez en ces bas lieux, nous vous verrons victorieux, fermer l’enfer, ouvrir les cieux”. “Ô nuit bienveillante, Ô nuit rassurante, Douce nuit du premier Noël”.
En ce 25 décembre 1944, qu’ils soient croyants ou non, les Vénissians recevaient le plus beau des cadeaux : la Paix.
Sources : Bibliothèque municipale de Lyon, cotes Chomarat Ms 491/II-6 à 14 et Ms 491/IV-2 à 4. Archives municipales de Vénissieux, cote 1 i 117.
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