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Histoire / Mag

Le mystère de la Femme-Morte

Cette histoire débute comme un roman policier. Une affaire sordide, au point qu’on a cru bon de la jeter aux oubliettes il n’y a pas si longtemps, en rebaptisant l’endroit du nom d’un médecin devenu maire de Villeurbanne : place Jules -Grandclément. Mais beaucoup d’entre vous se souviennent sûrement que cette partie du quartier de Parilly, entre la station de métro et l’échangeur du boulevard de ceinture, s’appelait autrefois « La Femme-Morte ».
Interrogez les Vénissians sur l’origine d’une dénomination aussi sombre et vous aurez une multitude de versions.  « Le rond-point de la Femme Morte ? On l’appelle comme cela parce qu’on a retrouvé à cet endroit le squelette d’une femme. Non ? », avance la rédactrice en chef d’Expressions. Gisèle, 80 ans, raconte un autre drame : « Une femme avait été assassinée par son mari, juste après la guerre ; non, c’était juste avant puisque ma tante de Parilly, chez qui j’habitais en 1944, m’en avait parlé à ce moment-là. »
D’autres variantes circulent et tous ces Vénissians ont en partie raison : le carrefour de la route d’Heyrieux, de l’avenue Viviani et du boulevard Laurent-Bonnevay doit bien son nom au décès d’une femme… à ceci près que la malheureuse est morte bien longtemps avant la Deuxième guerre mondiale. Les Anciens confondraient-ils avec la grande boucherie de 14-18 ? Impossible ! Si le meurtre a eu lieu avant une guerre, il doit s’agir de celle de 1870, entre l’empereur Napoléon III et le roi de Prusse. Les années passant, la mémoire des générations se sera simplement emmêlée entre les nombreux conflits ayant frappé notre pays. Encore raté. La piste de la guerre de 1870 s’effondre à son tour. La preuve ? Sur le premier cadastre de Vénissieux, à côté des quelques maisons bordant le « chemin de Lyon à Eyrieu » apparaît déjà le nom de « La Femme Morte ». Or ce plan a été dessiné… en 1831. Lorsqu’une tradition passe de bouche à oreille et se perpétue pendant des lustres, les souvenirs se troublent au fil des années ; certains détails s’estompent tandis que d’autres apparaissent comme par enchantement, enjolivant ou dramatisant son contenu. Mais il demeure toujours un soupçon de vérité dans ces récits aux allures de légende.
Cessons de remonter l’escalier du temps marche après marche et sautons d’un grand bond en arrière au 16e siècle. Le roi Henri IV règne alors sur la France, tandis que son ministre Sully s’efforce de mettre tous les dimanches une poule au pot au menu des paysans. Les habitants de Vénissieux, eux, se chamaillent copieusement avec leurs voisins Brondillants, San-Priots et surtout Corbasiens, pour des questions de limites communales. Le ton monte si fort que le roi expédie un arbitre pour les mettre d’accord. Arrivé chez nous, l’émissaire du monarque visite les terres au centre de la dispute en commençant par « le Triévon de la Vieille Morte » – autrement dit « le carrefour de la Vieille Morte ». L’arbitrage date du 17 juin 1605. La tradition de l’épouse assassinée a donc voyagé dans le temps durant plus de 400 ans ! En avançant en âge, le nom du quartier s’est bonifié d’un détail supplémentaire : il semblerait que la victime ait été une personne âgée. L’enquête s’attache au moindre indice, si ténu soit-il. Une version de « FBI, portés disparus » ou du Commissaire Maigret, revue à la sauce dauphinoise…

Septembre 2011. Une nouvelle pièce à conviction remonte à la surface et tombe entre nos mains. Nos prédécesseurs de la banlieue lyonnaise, Vénissians, Brondillants et Villeurbannais confondus, ont fait du grabuge en centre-ville. Armés jusqu’aux dents d’épées et d’arbalètes, ils ont pris d’assaut le pont de La Guillotière, enfoncé sa porte fortifiée et débaroulé au coeur de la Presqu’île. Leur motif ? Encore un conflit de frontière. Ces coquins de Lyonnais prétendent que leur cité englobe une partie du Velin, la plaine du Dauphiné dont Vaulx perpétue la mémoire, et sur laquelle se situe aussi Vénissieux. Que nenni, rétorquent les Dauphinois. Lyon ne s’étend pas au-delà du Rhône ; sa limite passe au milieu du fleuve et non en nos villages. L’affaire paraitrait ubuesque si elle ne s’était accompagnée de foules armées prêtes à en découdre avec les ancêtres des canuts. Pour cette querelle de frontières, le sang coula à plusieurs reprises et durant près d’un siècle, notamment en 1418 et en 1478. Monté sur le trône de France en 1461, le roi Louis XI est contraint d’intervenir pour pacifier la région. Pour ce faire, il expédie en Velin l’un de ses plus proches conseillers, le sieur Louis Tindo.

Nous sommes en 1479 et la guerre de Cent ans, menée contre les Anglais, vient à peine de se terminer. Christophe Colomb est un parfait inconnu et n’a pas encore découvert l’Amérique ; il ne posera pied à terre en Nouveau Monde qu’en 1492. En 1479, le lundi 13 août, Louis Tindo explore le Far-West dauphinois. Il a pour mission de fixer une bonne fois pour toutes les limites entre La Guillotière, qu’on appelle alors « Béchevelin », et les communes environnantes. Accompagné d’une soixantaine de juges, de témoins et surtout d’une foule de personnes âgées, dépositaires de la mémoire des siècles,  il entame sa tournée par les marais du Rhône, dans ce qui deviendra bien plus tard le parc de la Tête-d’Or. Puis il emprunte « ung chemin par lequel l’on va a Villeurbanne », passe devant une croix plantée dans des buissons, « et dudit carrefour nous transportasmes par le chemin par lequel l’on va de Lyon a Genas, jusques aux boys de Monchal [Monchat]». La petite armée d’enquêteurs suit les limites de « Braon », et parvient après plusieurs heures de marche aux portes de Vénissieux « a ung autre carrefour estant un grant chemin par lequel l’on va de Lyon a Grenoble [la route d’Heyrieux actuelle], ledit carrefour appellé la Vieille-morte »…
Ce nom étonne messire Tindo. Il questionne ses témoins. Aurait-on laissé un crime impuni ? Les  vieillards du village lui répondent, « disoyent aucuns des dessuditz, ledit carrefour estre ainsi appellé parce que autreffois fut ilec [ici] trouvé une femme morte, qui fut enterrée soubz un monceau de petites pierres estant audit carrefour ». La Vieille Morte : ce nom ne désignait pas une vieille dame, mais une femme décédée en des temps très anciens.
Les gens du 15e siècle enterrent depuis belle lurette leurs parents au cimetière, devant l’église du village. On n’enfouit jamais personne en plein champ et encore moins « soubz un monceau de petites pierres ». En revanche, les tombes de ce genre caractérisent certaines époques. Réservées aux membres de l’élite, elles forment un tertre de pierres et de terre de quelques mètres de hauteur et d’autant de diamètre – le record étant de 165 mètres de long, 60 de large et 12 de haut pour le site de Saint-Michel à Carnac, digne d’une pyramide d’Egypte. Ces tumulus, comme les appellent les archéologues, ont été bâtis entre le Néolithique et l’époque gauloise, il y a 6000 à 2000 ans. Ils recouvraient des tombes aux parois composées de grands blocs – les fameux dolmen-  ou de simple chambres en bois comme ce devait être le cas à Parilly. La Femme-Morte ? Une très, très ancienne tradition. À transmettre d’urgence aux futures générations.

Sources : Archives municipales de Vénissieux, cadastre de 1831. Archives départementales du Rhône, cote Es 214/1 (enquête de 1605). Bibliothèque Municipale de Grenoble, cote T 4149, Procez verbal de Me L. Tindo (1479).

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1 Commentaire

  1. gautran jp

    30 mars 2012 à 20 h 42 min

    Bonjour la rédaction

    je lis avec intérêt comme tout vénissian chaque parution de  » vénissieux expressions », votre article sur la place de la femme morte ou grand clément est très interessant .Permettez moi cependant de rebondir sur le problème posé par ce camp sordide de roms qui s’agrandit de jour en jour et qui occupe ce site illicitement. Aucue eligne de votre journal n’en fait état , est ce une directive municipale qui vous fait occulter cet état de de fait? , dans la négative merci d’en parler dans vos prochaines parutions en nous informant sur les intentions de nos élus ( meme si ce terrain occupé illicitement est privatif) car malheureusement tout le monde n est pas beau , tout le monde n’est pas gentil dans notre chère commune et votre devoir d information est d en parler . Nous savons bien que le sujet n est pas  » porteur » mais quand même !
    ceci dit votre journal est tres interessant , mais …… ne nous voilons pas la face

  2. gautran jp

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  3. gautran jp

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  4. gautran jp

    30 mars 2012 à 20 h 42 min

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  5. DUPUIS

    25 mars 2012 à 23 h 17 min

    Au cours de mes recherches généalogiques sur la famille Chaine de Vénissieux, j’ai découvert un acte de décès d’une femme, Marie Chaine, 31 ans, épouse d’André Potese (? )cultivateur à St Priest , qui a été trouvée morte à 6h du matin au hameau de Parilly sur la route de St Priest à Lyon le 4 décembre 1852. Coincidence? J’ai toujours pensé que c’était elle la femme morte.

    Je laisse cette information à votre réflexion.

  6. DUPUIS

    25 mars 2012 à 23 h 17 min

    Au cours de mes recherches généalogiques sur la famille Chaine de Vénissieux, j’ai découvert un acte de décès d’une femme, Marie Chaine, 31 ans, épouse d’André Potese (? )cultivateur à St Priest , qui a été trouvée morte à 6h du matin au hameau de Parilly sur la route de St Priest à Lyon le 4 décembre 1852. Coincidence? J’ai toujours pensé que c’était elle la femme morte.

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  7. DUPUIS

    25 mars 2012 à 23 h 17 min

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  8. DUPUIS

    25 mars 2012 à 23 h 17 min

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  9. curtil

    23 décembre 2011 à 13 h 43 min

    belle recherche agréable à lire.

    Bravo!

    Bonnes fetes de fin d’années à toute l’équipe.

  10. curtil

    23 décembre 2011 à 13 h 43 min

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