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Histoire / Mag

Sœurs de brousse

Pendant un siècle, des milliers de religieuses quittèrent Vénissieux pour s’établir jusqu’au cœur de l’Afrique.

C’est une carte postale on ne peut plus banale, comme il s’en expédiait à tout bout de champ avant que la généralisation du téléphone ne les fasse passer de mode. « Tendre souvenir. Pense souvent à vous », écrit un monsieur Pérignon. Elle a été postée dans un village du Maroc, en janvier 1938, et s’orne d’un timbre vert représentant la ville de Moulay-Idriss. Sur le recto, côté photo, la scène n’a rien de marocain. Une rangée d’immeubles et de mosquées suit les rives d’un fleuve aussi vaste que l’horizon : le Nil, en Egypte. Une belle felouque à rames et à voile occupe le premier plan. Sept femmes ont pris place à bord ; mains jointes sur le ventre, elles portent un plastron blanc qui contraste avec le noir de leur habit et de leur voile. Des sœurs, des religieuses.
La liste des cartes du même genre, représentant des nonnes sur fond de brousse ou de palmeraies, couvrirait des pages entières tellement elles sont nombreuses. Cases aux murs de terre, ponts de lianes, pirogues, infirmeries improvisées, écoles en plein air ou vieillards en pagne, elles mettent en scène des tranches de vie exotiques et une époque révolue, lorsque les puissances européennes se partageaient l’Afrique. Le rapport avec l’histoire de notre ville paraît bien éloigné, et pourtant il existe. Ces cartes postales parties de l’autre bout du monde, « L’excursion sur le Nil », « Le déjeuner des internes à Porto-Novo (Dahomey) », le « Dîner en plein air à Anécho (Togo) » et autres « Promenade à la villa des Cocos », portent toutes le nom de « Vénissieux (Rhône) ». Elles émanent d’une institution autrefois très connue, et dont la maison-mère se situait dans le quartier du Moulin-à-Vent : la Congrégation des Sœurs de Notre-Dame des Apôtres pour les Missions Africaines.

Son histoire commence en 1876, lorsqu’un prêtre originaire du département du Nord, Augustin Planque (1826-1907), fonde à La Guillotière une association de religieuses destinée à secourir les populations africaines et à les convertir au christianisme. Depuis une vingtaine d’années déjà, le père Planque expédie des prêtres autour du golfe de Guinée, et dirige à présent la puissante Société des Missions Africaines de Lyon. En cette fin du XIXe siècle où la France colonise à tout va sur le continent noir, les missionnaires précèdent ou accompagnent systématiquement les armées et les administrateurs, planteurs, commerçants ou aventuriers de tous poils, venus « civiliser les indigènes ». Néanmoins, les mœurs de l’époque interdisant aux prêtres blancs de soigner des femmes ou d’encadrer des écoles de filles, les conversions restent peu nombreuses. « S’il n’y a pas de sœurs pour élever les filles, pense le père Planque, on ne formera pas de familles chrétiennes » ; « plus vite il y aura des religieuses et plus vite se formera autour d’elles un bon noyau de femmes chrétiennes », ajoute-il. « C’est là une question de la plus haute importance ».
Fort de l’appui de Rome, Augustin Planque recrute donc des jeunes femmes (des « novices »), venues d’un peu toute la France et bientôt d’Italie, de Suisse et même d’Irlande, qu’il installe dans une maison Grande Rue de la Guillotière. L’afflux de vocations n’est pas du goût du cardinal de Lyon, monseigneur Caverot, qui refuse son soutien à la nouvelle communauté et essaye de l’interdire. Aussi, de 1878 à 1881, le père Planque fait-il construire un nouveau bâtiment pour ses religieuses mais situé hors du diocèse de Lyon et donc de l’emprise de monseigneur Caverot : à Vénissieux, alors dépendante du diocèse de Grenoble.

Le couvent des sœurs de Notre-Dame des Apôtres sort de terre au 44 rue Ernest Renan, tout près de l’église des Sauterelles. Haut de trois étages, il comporte une chapelle, un réfectoire, des salles de réunion, les cellules où dorment une soixantaine de novices, des communs et même une imprimerie destinée au journal de la congrégation, l’Etoile du Missionnaire. Les nouvelles recrues restent en moyenne deux ans et demi au Moulin-à-Vent, le temps pour elles d’être formées à leur future mission. Outre des leçons de religion et de culture générale, elles reçoivent des cours de médecine et apprennent les travaux manuels qu’elles devront effectuer outre-mer. Puis vient le jour du départ en Afrique. Au bout d’un voyage interminable en train puis en bateau et enfin en pirogue ou en chaise à porteurs, les sœurs arrivent dans les missions établies par leur congrégation. Les premières maisons sont fondées au Bénin, avec l’accord des rois locaux Gléglé et Zounon, puis essaiment très vite au Nigeria, au Togo, au Niger, en Côte-d’Ivoire, au Maroc, en Algérie, Tunisie, Egypte, Syrie, tous pays où les sœurs tentent de s’intégrer à la population. Partout elles soignent les malades, accouchent les femmes enceintes, nourrissent les affamés, recueillent les vieillards abandonnés et les enfants trouvés, ouvrent des crèches, des écoles, des dispensaires et construisent même une « ville des lépreux » à Adzopé, en Côte-d’Ivoire, avec l’aide de Raoul Follereau. Leur dévouement et leur abnégation force le respect.
Aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, la congrégation atteint son âge d’or avec 145 missions, accueillant 27 000 élèves, 6000 orphelins et 3 600 000 malades durant la seule année 1944. Et tout ceci dirigé depuis Vénissieux ! Seules les conversions tardent un peu. En terre d’islam, les sœurs se cantonnent essentiellement à des interventions médicales ; elles ne parviennent à introduire le catholicisme qu’en Afrique Noire, où Jésus vient prendre place aux côtés des esprits, des arbres et des animaux sacrés des religions traditionnelles. Les premiers recrutements de sœurs africaines n’interviennent qu’en 1930, après 50 ans de persévérance.

A Vénissieux même, les liens avec la population ne sont pas oubliés. Même si un accrochage ponctué de coups de révolvers défraye la chronique en 1936, les sœurs entretiennent d’excellentes relations avec les habitants et même avec les municipalités successives, pourtant guère adeptes du colonialisme et des odeurs d’encens. De 1881 à 1905, le couvent du Moulin-à-Vent héberge ainsi en pensionnat une centaine d’enfants du quartier ; durant la Première guerre mondiale, il se transforme en hôpital militaire et reçoit plusieurs milliers de blessés ; en 1940 et 1944, les religieuses volent encore au secours des victimes des bombardements ; pendant les années 50 et 60, elles soignent les malades sans le sou et font le catéchisme aux enfants. Leur histoire vénissiane prend fin en 1971, lorsque le couvent devenu trop grand pour des sœurs de moins en moins nombreuses est vendu. Le bâtiment est transformé en cité de transit puis démoli en 1995, pour céder la place à un programme immobilier qui a fait sortir de terre logements, mairie de quartier, crèche, etc. Les « filles » du père Planque, elles, continuent leur chemin dans leur nouveau couvent de Sainte-Foy-les-Lyon, et aussi au Niger, au Burkina-Faso, au Ghana, au Tchad, en Algérie et dans une quinzaine d’autres pays.

Sources : André Ravier, Les missionnaires de Notre-Dame-des-Apôtres (Lyon, 1944). Claude-Marie Echallier, L’audace et la foi d’un apôtre. Augustin Planque, missionnaire pour l’Afrique (Paris, 1995). Journal L’Ouest-Eclair du 23/9/1936.

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. Aramand

    14 février 2019 à 21 h 15 min

    Quelle histoire!
    J y est habité de 1988 à 1993.

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