Quel est le point commun entre Montpellier, Dunkerque, Niort, Nantes (le week-end) et Grenoble (en partie) ? Ces villes présentent toutes la particularité de proposer aux usagers la gratuité du réseau de transport en commun.
« La gratuité des transports en commun offre un choix de mobilité respectueux pour la planète, explique la mairie de Montpellier, plus grande commune d’Europe où une telle mesure a été mise en place. Elle incitera les automobilistes à franchir le pas des transports en commun, partiellement ou en totalité, en déposant la voiture dans un parking relais par exemple. Près de 140 000 véhicules entrent et sortent chaque jour dans la ville de Montpellier, soit 280 000 déplacements dégradant fortement la qualité de vie des habitants par les embouteillages et leurs nuisances. »
Une idée vertueuse, que certains voudraient également voir appliquée au sein de l’agglomération lyonnaise… « Les arguments en faveur de la gratuité des transports sont nombreux, estime Lucien Angeletti, économiste et porte-parole du collectif Gratuité TCL. Ils concernent deux aspects de la question : le social et l’environnement. »
« Sur le plan social, nous sommes fermement opposés à la tarification sociale, même si nous ne remettons pas en cause les tarifs sociaux eux-mêmes, poursuit-il. Pourquoi ? Parce que la tarification sociale implique des démarches administratives souvent complexes, qui freinent beaucoup de personnes. Résultat : un taux important de non-recours à ces droits, ce qui accentue les inégalités. La gratuité, elle, est universelle, automatique, sans conditions ni paperasse. Elle garantit une réelle égalité d’accès. Encore plus lorsque l’on sait que la Métropole et l’État n’entendent pas remettre en cause la ZFE à Lyon. »
Et sur l’aspect environnemental ? « La voiture reste une source majeure de pollution, qu’il s’agisse d’émissions de CO₂ ou de particules fines. La gratuité des transports constitue un levier fort pour inciter à changer de mode de déplacement. »
« Le niveau de service est déterminant »
Des arguments battus en brèche par Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de Sytral Mobilités et de la Métropole de Lyon. « La question de la gratuité des transports en commun, c’est un débat légitime que l’on peut avoir. Elle peut présenter un intérêt dans certaines petites ou moyennes agglomérations, où les transports en commun ne sont pas véritablement en concurrence avec la voiture, et servent essentiellement des usagers « captifs », comme les jeunes ou les personnes âgées. Mais elle n’est pas adaptée aux enjeux du réseau de la Métropole de Lyon. »
« Si l’objectif est de gagner des parts modales sur la voiture, ce n’est pas le prix du ticket qui est déterminant, mais bien le niveau de service proposé, assure Jean-Charles Kohlhaas. Pour convaincre, il faut améliorer la fréquence et l’amplitude horaire. Il faut ajouter des lignes, par exemple de tramway. Et cela nécessite des investissements importants. Or, les recettes des usagers représentent plus de 300 millions d’euros par an. Supprimer cette ressource, c’est fragiliser le développement du réseau. »
Et ce n’est pas l’exemple montpelliérain qui convaincra l’élu. « Ils sont en train de constater que cela freine le développement de l’offre. Et pourtant, Montpellier ne perçoit que 30 millions d’euros par an de recettes, soit dix fois moins que nous. De plus, leur modèle de gratuité est paradoxal : elle ne concerne que les habitants de la métropole, pas les visiteurs. Cela rend le système complexe et empêche de supprimer totalement les dispositifs de contrôle ou les portiques, qui restent coûteux à entretenir. »
« Pas la billetterie qui paie un tramway »
La gratuité n’en reste-t-elle pas, pour autant, le meilleur moyen de garantir l’universalité de l’accès aux transports en commun ? « Elle n’est pas équitable !, poursuit le vice-président de Sytral Mobilités. Elle bénéficierait aussi bien à quelqu’un qui a les moyens d’habiter dans l’hyper-centre de Lyon — où le service est au top, avec plusieurs lignes de métro et de tramway qui se croisent — qu’à une personne vivant à Vénissieux ou Vaulx-en-Velin, qui n’a pas accès à la même offre de réseau. Pourtant, tous deux ne paieraient rien. C’est pourquoi nous privilégions une gratuité ciblée, destinée à ceux qui en ont réellement besoin. Nous avons déjà baissé les tarifs pour les étudiants, nous allons instaurer la gratuité pour les enfants à la rentrée. L’objectif est clair : faire payer moins ceux qui ont moins. Aujourd’hui, nous comptons plus de 500 000 abonnés, et 96 % d’entre eux ne paient pas le plein tarif (grâce à la participation de l’employeur, aux réductions étudiantes ou aux tarifs sociaux). »
Et l’élu d’affirmer, enfin, qu’une telle mesure ne serait pas non plus complètement bonne pour la santé publique, puisqu’elle inciterait certains usagers à prendre le bus pour parcourir 500 mètres alors qu’ils auraient la capacité physique de le faire à pied. Ce qui entraînerait une saturation de certaines lignes.
« Nous pensons, en effet, qu’un véritable effort doit être engagé pour développer massivement les transports en commun, répond Lucien Angeletti. Le budget actuel ne suffit pas : il devrait être doublé pour répondre aux besoins de la population, voire encore doublé au mandat suivant. Mais il ne faut pas confondre les ressources : on ne paie pas les investissements lourds avec le budget de fonctionnement, mais bien sûr la durée, avec de l’emprunt. Donc c’est un choix politique. Ce n’est pas la billetterie qui paie le tramway ! »
REPÈRES
• En France, les ressources des transports publics proviennent de trois sources :
– Les recettes commerciales (tickets à l’unité, abonnement) ;
– Le versement mobilité, un impôt prélevé sur la masse salariale des employeurs publics et privés d’au moins 11 salariés ;
-Les financements publics de la collectivité.
Selon les données du CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), sur la période 2014 – 2022, 52% du budget transport provenait du versement mobilité. 17% provenait des recettes commerciales.
• Selon ses adeptes, la gratuité des transports en commun pourrait être financée par une hausse du versement mobilité, qui pourrait alors passer de 2 à 3,2% (comme c’est le cas à Paris), une hausse de la taxe de séjour dans les hôtels 4 et 5 étoiles, la création d’une taxe sur les parkings de la grande distribution et d’une autre sur les parkings des bureaux, au-delà d’une certaine surface.
• La gratuité des transports en commun engendre généralement une hausse immédiate de la fréquentation des lignes : +49% dès le premier mois à Châteauroux, +77% la première année à Châteauroux, +23,7% à Montpellier sur les cinq premiers mois.
• Si le Sytral est si frileux à l’idée de proposer des transports en commun gratuits sur l’agglomération, c’est notamment parce qu’une étude indépendante et externe sur ce modèle économique avait été commandée en 2019 au Laboratoire aménagement économie transports (LAET). Elle a été menée par Yves Crozet, Bruno Faivre d’Arcier, Aurélie Mercier, Guillaume Monchambert et Pierre-Yves Peguy. Selon le groupe de chercheurs, la gratuité des TCL nuirait à la qualité du réseau, pourrait entraîner sa dégradation, n’aurait qu’un impact limité sur l’utilisation de la voiture individuelle, réduirait l’usage du vélo et la marche à pied. Elle freinerait aussi les investissements, ce qui obligerait les collectivités à augmenter grandement leur participation financière à la politique des transports.
Dunkerque, cas d’école depuis 2018
Le 1er septembre 2018, la Communauté urbaine de Dunkerque est devenue la plus grande agglomération européenne à offrir un réseau de transports en commun entièrement gratuit. La CUD (200 000 habitants) a, depuis, été détrônée par Montpellier Méditerranée Métropole.
La gratuité ne s’est pas décidée du jour au lendemain. Des choix ont été effectués en amont, tout d’abord pour moderniser le réseau, puis pour valider un mode de financement viable. De 2011 à 2014, la Communauté urbaine a épargné, chaque année, 8,9 millions d’euros sur le versement transport des entreprises dont elle venait de rehausser le taux de 0,5 point.
Élu maire de Dunkerque et président de la CUD en avril 2014, Patrice Vergriete (divers gauche) avait parallèlement renoncé à la construction d’une Arena de 10 000 places (10 millions d’euros). Aidé par une subvention de 11,6 millions d’euros du Fonds européen de développement régional, l’édile est parvenu à financer 65 millions d’euros de travaux dans le cadre du projet « DK’Plus de mobilité ». Objectif : doper l’attractivité en aménageant des voies dédiées, en achetant des bus modernes et en créant cinq lignes « Chrono ».
Le second enjeu était de financer le fonctionnement du réseau flambant neuf, devenu plus cher à exploiter, sachant que la billetterie dégageait environ 4,5 millions d’euros. C’est le versement mobilité, dont s’acquittent les entreprises de plus de 11 salariés, qui comble ce manque à gagner. Il a atteint son taux maximum en juillet 2022, en passant de 1,55 % à 2 %. Et génère des recettes en hausse grâce à l’implantation de nouvelles usines dans l’agglomération.
Le réseau moderne et gratuit a rapidement séduit. Dès 2019, DK’Bus enregistrait une hausse de fréquentation de 65 % en semaine et de 125 % le week-end. Le nombre de voyages a plus que doublé entre 2017 (9 millions) et 2022 (20,9 millions), validant ainsi les objectifs annoncés quelques années plus tôt.
TÉMOIGNAGE
« J’utilise beaucoup plus les transports »
Depuis 2006, la ligne de tramway T2 traverse la métropole montpelliéraine d’ouest en est et termine sa course à Jacou. Tous les jours de la semaine, les habitants de cette commune peuvent ainsi rejoindre le centre de Montpellier en une trentaine de minutes. C’est le cas de Marie, 28 ans, Jacoumarde depuis six ans.
Cette conseillère de vente en prêt-à-porter travaille dans Montpellier et a choisi de s’installer à Jacou pour sa proximité avec le centre-ville. Auparavant, elle utilisait sa voiture pour se rendre au travail : « De porte à porte, normalement j’en avais pour 25 minutes, mais ces dernières années, la circulation est devenue beaucoup plus compliquée et il m’arrivait parfois de mettre une heure le matin. » Quand la Métropole a annoncé la gratuité des transports, Marie y a d’abord vu une opportunité pour fluidifier le trafic routier. Quelques mois plus tard, elle a décidé de tester les transports en commun. « Depuis que c’est gratuit, je les utilise beaucoup plus. L’arrêt de tram est à cinq minutes de chez moi, et un autre se trouve à quelques minutes de mon travail. Je n’ai pas de correspondance à faire, donc c’est parfait. »
Depuis près d’un an, son quotidien a changé. Elle prend désormais le tram chaque jour, ce qui a eu un impact positif sur son budget. « Je ne prends presque plus ma voiture, et je me demande même si je vais la garder, assure-t-elle. Même quand je rejoins des amis, je prends le tram ou un taxi pour rentrer, et financièrement c’est intéressant. » Pour Marie, cet engouement a aussi ses limites : « On est plus nombreux à prendre le bus ou le tram, donc ça devient vite bondé, regrette-t-elle. J’ai la chance d’être en début de ligne, mais elle se remplit vite le matin. Et avec un tram toutes les 15 minutes environ, ça n’aide pas vraiment à réguler le trafic. » Depuis la mise en place de la gratuité, la fréquentation des transports en commun a en effet nettement augmenté, avec plus de 33 % de voyageurs supplémentaires. Parmi les 500 000 personnes éligibles, près de 410 000 ont déjà fait leur demande.
Mobilité : les attentes de Vénissieux
En février, le conseil municipal était appelé à se prononcer sur le Plan de mobilité des territoires lyonnais à l’horizon 2040. Les élus ont rendu un avis « favorable »… assorti de réserves.
Si la Ville se félicite de la construction du tramway T10 et du projet du futur tram T8, elle regrette que l’ambition de développement des transports en commun ne soit pas plus élevée. D’autres demandes ont été listées : la mise en accessibilité de la gare de Vénissieux, le renforcement du transport des passagers sur les lignes SNCF entre Vénissieux et Lyon, la création d’une liaison à haut niveau de service avec Corbas…
En vue de renforcer l’attractivité des transports en commun, la Ville s’est également prononcée en faveur d’un ticket à tarif réduit pour les déplacements courts ou d’un abonnement spécifique « vénissian » réservé aux trajets limités à l’intérieur de la commune.
Plusieurs élus intervenant au nom de leur groupe (La France insoumise et le groupe communiste dans la majorité majorité, « Ensemble pour Vénissieux » dans l’opposition, ) étaient allés plus loin en plaidant pour la gratuité totale des transports en commun.
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