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Les colporteurs : porteurs de rêves et de babioles

Un colporteur savoyard

Comme tous les villages riches de demoiselles et d’écus, Vénissieux attirait autrefois de nombreux colporteurs. Et parfois même des colporteuses. Comme Thérèse de Savoye, qui descendait chaque hiver de La Maurienne avec des rubans, des coiffes, des carrés de soie, des épices et autres babioles, que ses clientes ne trouvaient ni chez le cordonnier ni chez le maréchal-ferrant de leur village. On l’attendait impatiemment, car elle était aussi porteuse d’histoires et de rêves.

Même si le soleil devient chaque jour un peu plus ardent, la neige peine à fondre ; elle recouvre toujours les champs de blanc et, tout là-haut sur les crêtes, dépasse la hauteur d’un homme. Jusque dans les rues du village, elle ne paraît point décidée à céder sa place au printemps. En plus des plaques stagnant à l’ombre des maisons, elle forme des tas aux endroits où, après chaque grosse chute, l’on a creusé des tranchées pour dégager les accès aux étables.
Les voisins ont bien répandu de la cendre pour rendre ces semblants de sentiers moins glissants mais quand même, le couple avance prudemment. Dame ! Le paquet qu’ils portent dans leurs bras est trop précieux pour le faire tomber. Il y a deux ou trois heures de cela, ce petit bout de fille dormait encore dans le ventre de sa mère, la Thècle Retorna. Le père, Joachim Savoye, est resté auprès d’elle, confiant au parrain et à la marraine de l’enfant, le soin de le mener au baptême.
Les voilà maintenant qui entrent dans l’église. Avec son armée de statues et ses colonnes chargées d’or, ses peintures sur tous les murs et ses autels gros à en faire éclater les chapelles, on dirait un bout de Paradis déposé sur la Terre. Dans toute la Maurienne, il ne se trouve pas plus belle église que celle de Valloire. Il faut dire qu’elle a coûté fortune. Pour elle, chaque famille a ouvert sa bourse, surtout celles dont les enfants ont migré au loin ; de Venise, de Barcelone, d’Autriche ou de Prusse, ils ont expédié des flots d’or gagnés dans leur commerce… Maintenant l’eau bénite coule sur le front du bébé. Thérèse Savoye. Ainsi est-elle baptisée, ce 9 avril 1741.

De cette scène savoyarde au théâtre de l’histoire vénissiane, il n’y a pas qu’un pas mais plutôt des millions, une montagne de pas. Tous ceux que Thérèse Savoie effectua année après année, entre sa haute vallée et les pays d’en bas. Comme ses voisins, ses parents et ses cousins, une fois aux portes de l’âge adulte Thérèse est devenue marchande itinérante. “Colporteuse en mercerie”, pour être plus précis. À un détail près : au lieu de porter comme les hommes son commerce sur son dos, dans une grosse caisse de bois ou d’osier aussi lourde qu’une brouettée de pierres, elle a voyagé en compagnie d’un mulet. Chaque bât de la bête renferme ses trésors. D’abord des cordelettes et des lacets en cuir ; des ceintures ; des rubans, pour orner les tabliers ou nouer les coiffes des demoiselles ; des coiffes justement, en piles aussi hautes qu’un buffet de cuisine ; des carrés de soie pour nouer sur le cou, en autant de couleurs que les feuillages d’automne ; des paires de bas, en laine et fil ; des aiguilles, par milliers, pour les repriser ; des croix d’or grosses et petites, destinées aux galants pour parer leur fiancée ; des boucles de souliers, en argent ou en cuivre ; des montres de Genève, quelques-unes de Londres ; des boutons de corne, de bois, d’ivoire, d’argent, aussi nombreux qu’une pluie de grêlons ; des épices, pour parer aux demandes de poivre et de cannelle, de muscade, de gingembre et de girofle, même si elles risquent d’empester les tissus ; des chapelets, des bagues, des couteaux, quelques livres. Stop ! Le mulet commence à regimber. Il suffira pour cette tournée.

Thérèse a pris la route avant les premières neiges et sitôt les troupeaux descendus de l’alpage, fin septembre ou aux premiers jours d’octobre. Par le col dominant le village, puis les lacets menant à la vallée de l’Arc, elle a gagné le bout de la Maurienne, passé la Chartreuse, franchi la frontière de France et commencé à aller de village en village, vers les fermes isolées et les auberges fréquentées.
À force de faire la route, elle connaît bien son monde, depuis les clientes jamais rassasiées des merveilles qu’elle déploie, jusqu’aux rapiats dont l’ardoise de dettes effraierait l’usurier de Molière. Elle fuit celles-ci comme la peste et ne manque jamais visiter les premières. Fidèle comme l’hirondelle à son nid, elle revient les voir chaque année. Pour elles, Thérèse passe commande à ses fournisseurs (des cousins semés aux quatre coins de l’Europe) des objets dont ces femmes raffolent et qu’elles ne trouvent ni chez le cordonnier ni chez le maréchal-ferrant de leur village. À ces bonnes clientes, elle raconte aussi ses meilleures histoires, celles qu’elle a lues dans les almanachs ou entendues au fil de ses tournées. Vendeuse de babioles et conteuse de rêves, le couplet compte beaucoup au succès de ses affaires ; la preuve, on l’attend toujours impatiemment, et lui offre de bon cœur le gîte et le couvert le temps de son étape.
Comme elle, ils sont des milliers de colporteurs à parcourir les routes de France et de Navarre ; des hommes pour la plupart, des femmes parfois, des montagnards toujours, cherchant à gagner durant la mauvaise saison un travail et un argent que leur pays perché rechigne à leur donner. Presque tous vendent un peu de tout. D’autres se spécialisent dans une catégorie d’objets, comme Louis Richard et sa femme Marie-Anne Martel, vendeurs de bouquets de fleurs séchées, qui fréquentaient l’Est lyonnais à la veille de la Révolution française. Ou comme François Genti et Joseph Lardi, deux Suisses de 29 et 31 ans, “marchands de gravures itinérants”, passés par Vénissieux en 1851. De l’automne aux premiers jours du printemps, il ne s’écoule guère de temps sans que l’un ou l’autre ne s’arrête au village. En 1851 voici encore deux Suisses, Jean Mayne et Jean Hugen, qualifiés de “marchands ambulants” ; en 1815 Antoine Joussant, “colporteur sans voiture” – donc portant sa balle sur son dos. Les jours de foire les attirent comme des mouches, au point qu’en 1824 le maire doit leur attribuer un emplacement particulier : on parquera les cochons sur la petite place du château, tandis que la grand-place entourée d’arbres “sera réservée aux marchands colporteurs et autres marchands qui vendent des comestibles”.

Et puis peu à peu, les colporteurs se firent moins nombreux. À partir du milieu du 18e siècle, à côté des artisans présents depuis toujours, apparurent à Vénissieux des commerçants ayant pignon sur rue. Leurs boutiques concurrencèrent directement les colporteurs, contraints à se replier vers des villages moins bien achalandés. Enfin la révolution industrielle, les catalogues de vente par correspondance et la ligne de tramway, qui mit Lyon à une heure de Vénissieux, leur portèrent le coup de grâce.
Thérèse Savoye contribua elle-même à cette évolution. Le 28 janvier 1771, après avoir résidé “depuis quelques temps audit Vénissieu”, la demoiselle “originaire de Valoire dioceze de Saint Jean de Morienne en Scavoye”, contracta mariage avec un vigneron du cru nommé François Barioz. L’un et l’autre se donnèrent mutuellement tous leurs biens, évalués à 400 livres du côté de Thérèse. La fille de la montagne, son pécule amassé, déposait ses bagages.

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