Accompagné par Philippe Hanus, docteur en anthropologie historique et coordinateur de l’ethnopôle Migrations, frontières et mémoires au centre du patrimoine arménien de Valence, le rappeur Rocé était invité par la médiathèque Lucie-Aubrac le 6 février, en partenariat avec « Bizarre ! ». Où il a donné, le lendemain, un concert mémorable, en compagnie d’Ärsenik.
À la médiathèque, à l’occasion d’un mini-cycle sur Les Damné.e.s de la terre — en relation avec l’album-compilation du rappeur sur les voix de luttes de 1969 à 1988 —, Rocé a évoqué les chants contestataires francophones.
En préambule, Philippe Hanus évoquait « les temps difficiles, le monde sans boussole » dans lequel nous vivons, où « nous sommes tous hypnotisés par nos écrans ». D’où l’importance « d’interroger la mémoire des luttes ».
Le rappeur a avoué son besoin de concrétiser ce projet. « Il me manquait la poésie de l’urgence avec l’angle mort des violences policières, des quartiers populaires, des exils et des diasporas. Quelque chose est en train de s’effacer dont nous n’avons pas conscience. Comment faire pour éviter cela ? »
Si l’idée d’une telle compilation est nouvelle chez nous, elle existe déjà dans les pays anglo-saxons. « Nous avons mis dix ans, reprend Rocé. Pour le livret d’accompagnement, j’ai fait appel à deux historiens : Naïma Yahi et Amzat Boukari-Yabara. »
Quels sont mes aînés ?
La première question que se pose Rocé est de savoir qui sont ses aînés, lui qui est rappeur. Pour cette raison, il apprécie particulièrement ce que les Américains nomment spoken word, qui s’apparente au slam. « Je suis entré dans le rap parce que je trouvais que c’était de l’énergie. C’était animal ! Puis j’ai été « conscientisé » par le groupe Public Enemy. »
La discussion est entrecoupée de morceaux musicaux ou d’extraits de prise de parole, telle celle de Jean-Marie Tjibaou, qui ouvrait le festival Melanesia 2000, en Nouvelle-Calédonie, en 1975. « Si on ne montre pas qu’on a une culture, résumait Rocé, on ne nous respecte pas. Tjibaou fut ensuite assassiné. »
On entendit encore La Logique du pourrissement par Joby Bernabé ou Je suis un sauvage par Alfred Panou et l’Art Ensemble of Chicago. Philippe Hanus a remis à chaque fois les morceaux dans leur contexte historique. Il évoqua ainsi la compagnie théâtrale militante Al Assifa, « qui dénonçait les conditions de travail des travailleurs immigrés ».
Il a alors parlé du MTA, le Mouvement des travailleurs arabes, qui présenta aux élections présidentielles de 1974 un candidat immigré, Djellali Kamal. « C’était un pseudonyme, avatar de deux prénoms de personnes assassinées par la police. Il a été adoubé par Michel Rocard, alors au PSU, par l’écologiste René Dumont et par Alain Krivine de la Ligue communiste révolutionnaire. »
Rocé rebondit sur ce qu’il nomme « les embouchements, les connexions improbables, comme celles entre indépendantistes corses et ouvriers marocains ».
Se firent encore entendre Manno Charlemagne, Francis Bebey ou Les Colombes de la révolution pour un hommage à Mohamed Maïga, le père assassiné de l’actrice Aïssa Maïga.
Enfin, à l’issue de la conférence, Rocé répondit à une question sur son père, le résistant Adolfo Kaminsky. « D’origine russe, il était né à Buenos Aires. Il fut arrêté par la Gestapo et envoyé au camp de Drancy, d’où il parvint à sortir. Il devint le faussaire de la Résistance, réalisant quantité de faux-papiers. Plus tard, il fit la même chose pour le FLN et les luttes de décolonisation. Ma mère est une Algérienne du sud qui s’est beaucoup battu pour l ‘Angola. Je suis né moi-même d’embouchements. »
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