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Portraits

Au revoir les enfants


“Un enseignement qui n’enseigne pas à se poser des questions est mauvais”, écrivait Paul Valéry dans ses Cahiers. Une citation qui convient parfaitement à Bernard Curtet, l’emblématique directeur de l’école Jean-Moulin, qui prend sa retraite après trente années passées aux Minguettes.

Le 7 juillet prochain, quand il fermera la porte du groupe scolaire Jean-Moulin et donnera les clefs à son successeur, Bernard aura certainement un petit pincement au cœur. À bientôt 62 ans, il a choisi de tirer sa révérence après 30 ans passés aux Minguettes, dont 27 au groupe scolaire Jean-Moulin. Vénissieux est une ville pour laquelle il ressent un attachement viscéral et les Vénissians le lui rendent bien. Depuis l’annonce de son départ, c’est l’émotion des parents qui l’emporte : « On a bien essayé de le retenir, exprime un papa à la sortie de l’école, mais nous n’avons pas été assez convaincants ! »

La maman d’Abdelkrim lui est également reconnaissante : « Mon fils a fait toute sa primaire ici. Aujourd’hui il est lycéen. En tant que parents nous occupions une vraie place, sans jugement. On pouvait frapper à son bureau, l’interpeller dans un couloir. Toujours à l’écoute. » Sarah, actuellement étudiante en droit, se souvient très bien de ce prof qui lui qui a donné envie d’aller plus loin. « Il m’a fait découvrir la lecture, on pouvait lui parler sans tabou. Je dirais si j’osais : c’est un mec bien. » Bernard n’a pas vu passer le temps : « j’ai vu naître au groupe scolaire une super équipe ; pas des super-héros mais des gens qui se sentent bien dans le quartier. On n’est pas en terre de mission ici ! »
Les Minguettes, le sexagénaire les a vues se transformer sous l’effet de la crise sociale, « mais on ne résume pas un quartier à une crise. Ici vivent des gens formidables, on a des élèves qui réussissent, qui sont excellents. »

Infirmier puis instit

Remontons en arrière. C’est sur les bancs de l’école Aristide-Briand, à Gerland, que Bernard fait ses classes. « J’ai un très bon souvenir des maîtres d’école engagés et dynamiques. » Très bon élève, il se souvient de cette « difficulté » qu’il a dû affronter, celle d’être excellent dans un quartier populaire, ce qui à l’époque déjà suscitait des railleries. Les collèges Marc-Bloch, Ampère-Saxe et le lycée La Martinière accueilleront ensuite le gone de Gerland. Après son bac décroché brillamment, il se lance dans des études d’infirmier psychiatrique. Son diplôme en poche, il exerce au Vinatier : « J’ai vécu cinq années dans un service de pédopsychiatrie. On soignait des jeunes entre 12 et 19 ans présentant des pathologies lourdes. En très peu de temps, j’ai beaucoup appris sur l’humanité et sur moi-même. C’était également le temps de la jeunesse, une époque bouillonnante. On voulait changer le monde ! J’ai tout de suite été de gauche, ce qui m’intéressait c’était de faire autrement ! » Mai 1968 l’a marqué, pourtant il n’avait que 13 ans.

Pendant toute sa carrière, les rencontres ont été déterminantes. D’abord avec Gilles Denuel (le frère de Luc, longtemps resté enseignant puis directeur à Max-Barel), avec qui il pratiquait le basket. C’est Gilles qui l’incite à passer le concours d’instit. « J’ai quitté le Vinatier un vendredi à 14 heures. J’étais attendu à la circonscription de l’Éducation nationale aux Minguettes le lundi matin. C’était en 1984. On m’a envoyé à Jean-Moulin : j’avais 29 ans, un blouson en jean et la trouille au ventre. À l’époque, on était dans les classes avant d’intégrer l’école normale ! » Monique Perrin, la directrice du groupe scolaire, l’attendait. « Elle m’a confié à Alain Godard, maître ZEP, et Jeanine Genevoix, prof de CP. »
Après avoir enseigné dans d’autres établissements des Minguettes, il revient à Jean-Moulin en 1990. Il y ouvre une CLIN (classe d’initiation), enseigne en CP/CE1 jusqu’en 2001, année où il prend la direction.

« Lire, c’est comprendre. Alors apprendre à lire, c’est apprendre à comprendre »

Pour Bernard Curtet, la quintessence du métier d’enseignant est l’apprentissage de la lecture en CP. Il est un adepte d’Éveline Charmeux et de Jean Foucambert, de Philippe Meirieu également. Très rapidement, il les retrouve à l’association française de la lecture, reconnue comme un mouvement pédagogique. Mais peu d’enseignants s’y intéressent. Bernard se lance dans un travail de recherche sur un thème plutôt complexe (« Apprenons d’abord l’implicite du texte dès le cycle 2 »), passe une maîtrise de sciences de l’éducation, met en place de nouvelles méthodes. Sa classe devient une vraie ruche. Les enfants participent, trouvent des mots, s’expriment devant les autres. « Nous étions des petits chercheurs, ça a duré quatre ans. On avait un credo : lire, c’est comprendre. Alors apprendre à lire, c’est apprendre à comprendre. Un lecteur doit nécessairement être critique, et pour cela il doit se faire une opinion de ce qu’il lit. »

Pour le directeur emblématique de l’école Jean-Moulin, la pensée se construit à partir du langage. « Il permet d’exercer le pouvoir, de transmettre. S’ensuit l’envie d’écrire. On ne réfléchit bien que par ce qu’on écrit, il faut trouver le bon mot, on les pèse au gramme près. C’est une approche qui manque aujourd’hui dans l’Éducation nationale. Il ne suffit pas d’écouter l’enseignant, il faut que les élèves construisent dans leur tête. Si on comprend la lecture, on se sent plus libre, plus grand, plus fort. Nous devons faire des enfants de vrais citoyens, l’école doit donner un esprit critique. Il faut des gens qui innovent, qui pensent, qui s’engagent surtout. »

Et en matière d’engagement, Bernard Curtet est un exemple, que ce soit au travers de son militantisme syndical au sein du SNUipp, de son investissement pour les mal logés, les sans-papiers, et tant d’autres causes. Mais pendant cette longue interview, il ne fera qu’effleurer ses activités annexes, ramenant systématiquement la conversation sur la pédagogie et la nécessité de donner aux enfants, singulièrement ceux des quartiers populaires, une grille de lecture adaptée pour se construire et s’ouvrir au monde.

Désormais le jeune retraité passe le relais. Il a des projets pleins la tête : profiter davantage de sa famille bien sûr, mais aussi poursuivre le théâtre qu’il pratique depuis six ans avec la compagnie Traction Avant, frapper à l’école de musique pour, qui sait, apprendre à jouer d’un instrument, faire de la randonnée, et puis lire beaucoup, beaucoup…

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