Ce 16 juillet, sur la grande façade d’un immeuble de la rue Maurice-Ravel, géré par Erilia, des silhouettes apparaissent. Perchés sur un échafaudage, deux artistes, Poes et Jo Ber, les fignolent.
Chargé de projet de l’association Space Junk, qui organise le tout, Nemanja Jelacic intervient : « Nous nous sommes mis en relation avec Erilia et la Ville de Vénissieux. Conçue par les artistes Poes et Jo Ber, cette fresque s’inscrit dans un ensemble plus vaste, inspiré par l’épopée de Gilgamesh, le héros mésopotamien. C’est le premier récit de l’histoire de l’humanité, retrouvé sur une dizaine de tablettes en argile. Poes et Jo Ber ont réinterprété l’épopée en version street art. »
Pour Nemanja, voir ainsi retranscrit en peintures murales ce mythe — qui parle par exemple du Déluge et a inspiré la Bible — permet « un accès à la culture, à l’histoire de l’art et à celle de l’humanité ».
C’est ici la première tablette de Gilgamesh qui est figurée mais Poes et Jo Ber ont déjà peint d’autres épisodes dans de nombreuses villes du monde. Redescendu de son perchoir, Poes en cite quelques-unes : « Colombes, dans le 92, Toulouse, Amiens, Lille, Denain (Nord), Montauban, Lure en Haute-Saône, Rennes, Leicester en Angleterre… Il y en a aussi une à La Réunion mais qui n’est pas vraiment Gilgamesh, plutôt un parallèle. »
- À Colombes (Photo Thibaut Lefébure)
- À Colombes (Photo Thibaut Lefébure)
- "La fin de la route" à Lure
- "Le combat contre Humbaba" à Lille
- "Le combat contre Humbaba" à Lille
- "Le Déluge" à Amiens
- À Amiens
- À Amiens
- "Les Titans" à La Réunion
- "Une joyeuse déforestation" à Toulouse
- "The Encounter" à Leicester (Angleterre)
Ce projet a commencé il y a neuf ans, « un peu par hasard ». « Nous avons peint un premier mur, reprend Poes. C’était une histoire qui nous parlait et qui ne pouvait être contenue sur une seule façade. Elle était porteuse, avec plein de facettes. Nous avions envie de continuer à la peindre et, ensuite, de restituer le tout dans un bouquin. »
Il poursuit : « Nous avons ainsi représenté l’histoire du Déluge à Amiens. Au début de l’histoire, Gilgamesh est à Uruk, la première cité-état. Pour sa représentation, nous avons geeké sur l’iconographie en essayant de reprendre les codes graphiques mésopotamiens, comme les barbes à boules ou les mammifères ailés. J’essaie d’imaginer le plan d’Uruk, à quoi ressemblaient les temples. Je joue avec tout cela pour que ce soit vraisemblable mais qu’il y ait aussi des clins d’œil au quartier où se trouve la fresque. »
Les façades, des feuilles blanches idéales
Sur la méthode, Poes précise que les deux artistes dessinent d’habitude en amont mais qu’ils improvisent aussi sur le mur. « Nos styles ne sont pas identiques mais compatibles. Nous utilisons les mêmes techniques. Il faut que ce soit le plus homogène possible. »
Il sait que ces grandes figures très colorées vont attirer les regards. Et lui et Jo Ber restent très attentifs aux réactions qu’ils suscitent. « En passant devant la fresque, à Amiens, un gamin a reconnu Gilgamesh, qui est au programme des cours de 6e. Ses parents étaient étonnés et il leur a expliqué ce que c’était. J’aime cette inversion de la transmission. »
Poes n’est pas tendre avec son héros : « Gilgamesh est plutôt un anti-héros, le premier de l’histoire de la littérature puisqu’il remonte à – 3000. Il ne fait que des conneries et les dieux aussi, d’ailleurs. C’est ce qui le rend plus humain. »
Poes et Jo Ber aiment certainement aussi l’ironie de représenter une épopée antique dans un décor très urbain. « Avec Jo Ber, nous avons grandi près de La Défense, où les tours poussaient comme des arbres. C’était un décor hyper urbain et nous avons commencé par le graff. Les façades deviennent des feuilles blanches idéales. Nous rêvions de murs peints dans les villes et nous sommes heureux de voir combien aujourd’hui ils se sont démocratisés. »
Pour mieux ancrer leur œuvre dans le quartier, les deux artistes se sont rendus au collège Paul-Éluard, tout proche, pour parler de leur travail.
« Nous avons créé des documents pédagogiques, précise Nemanja, pour les transmettre au prof d’histoire. C’est la première fois que Space Junk intervient à Vénissieux et nous aimerions travailler avec les scolaires — pourquoi ne pas imaginer des classes qui viennent voir la fresque ? — et aussi avec la Maison du projet. »
Réalisée pendant les quinze derniers jours de juillet, la fresque sera sans doute inaugurée à la rentrée.
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