Connectez-vous avec nous

Bonjour, que cherchez-vous ?

Histoire / Mag

Serruriers de père en fils

En se peuplant de plus en plus, le village de Vénissieux attira au 18e siècle de nouveaux métiers artisanaux. Ouvrons la porte à l’un d’eux.

« L’atelier de serrurerie » par Louis Malaval

Parmi les montagnes de trésors qu’il conserve en ses murs, le Musée dauphinois, à Grenoble, possède une boite en bois sculptée provenant du Queyras (Hautes-Alpes) et datée de 1759. Ce bien bel objet arbore sur sa façade une inscription à lire en phonétique, car le respect de l’orthographe n’était pas forcément la première qualité de tous les queyrassins du 18e siècle : « se dun bon cadenas, la ou il i a une meichante famme » ! Autrement dit, pour éviter les querelles de ménage, fiez-vous à une bonne serrure plutôt qu’à la confiance réciproque entre époux… Misogynie ? Sûrement ! Mais pas seulement. L’on a souvent tendance à croire que les sociétés du passé ne connaissaient ni la violence ni les vols, au point d’en conclure que nos prédécesseurs laissaient toujours leurs portes grandes ouvertes. Grave erreur ! Autrefois comme aujourd’hui, comme disent les Italiens, « l’occasione fa il ladro » – « l’occasion fait le larron ». Le vol était monnaie courante, au point que les Romains utilisaient déjà les serrures, et pas qu’un peu. Voyez par exemple cette boite métallique datant des premiers siècles de notre ère : elle était munie d’une étrange clé coudée, qui actionnait une barre horizontale fermant le coffre ou la porte de son propriétaire. Il paraît même que ces mécanismes furent fabriqués dès l’âge du Bronze, autrement dit presque en même temps que l’invention de la métallurgie, il y a près de 4500 ans ! Rien d’étonnant donc, à ce que Vénissieux ait eu des serruriers sous l’Ancien Régime.

En voici un. Il se nomme Gaspard Tacussiau (1715-1752), et officie au Moulin-à-Vent sous le règne du roi Louis XV. L’homme n’est pas un Vénissian de souche. Il est venu s’établir chez nous vers 1737 et est originaire de La Guillotière, alors faubourg de Lyon, où son père, Jean, était déjà serrurier. C’est à Gaspard Tacussiau que l’on doit l’arrivée de cette nouvelle profession au village. Car avant lui, les serrures de Vénissieux étaient fabriquées non par un serrurier mais par les maréchaux-ferrants du Bourg. Ces maîtres du feu et du métal s’avéraient aptes à bricoler tout ce qui était en fer, depuis les fers à chevaux jusqu’aux outils de ferme, aux mécanismes d’horloges et donc même aux serrures. Ils approvisionnèrent ainsi Vénissieux en « cadenas », pour reprendre l’expression figurée de la boite du Musée dauphinois, pendant des siècles et des siècles. Jusqu’à ce que maître Gaspard décide d’exporter son art clés en mains au Moulin-à-Vent, voici maintenant près de 300 ans, et en un temps où ce quartier de Vénissieux était en pleine expansion et promis à un bel avenir.

Serrurier… et aubergiste

Donnons un tour de clé et entrons chez lui. Il possède une bien belle maison, peut-être l’une des plus grandes du Moulin-à-Vent, puisqu’elle aligne pas moins de cinq pièces, dont trois chambres à coucher. Dans sa cuisine, une pendule « avec sa caisse bois noyer », et surtout une armoire et deux vaisseliers monumentaux, dans lesquels il expose fièrement les assiettes en faïence et les plats en étain, disent toute son aisance. Son atelier, ou plutôt sa « boutique », comme l’appellent les artisans dauphinois, se situe « au midi de la cuisine ». Elle contient une forge et deux enclumes, pour travailler les barres de fer que Gaspard achète à des marchands lyonnais, mais aussi les « vieux fers » dont il détient près d’une centaine de kilos. Le métal étant rougi, il le serre dans des « estocs » (des étaux) et dans des « tours à tourner le fer », et le façonne à l’aide de ses tenailles, ses marteaux, ses poinçons et ses limes, jusqu’à ce qu’il se mue en serrures et en clés. Une fois achevées, ces œuvres sont stockées sous l’escalier montant à l’étage, où nous trouvons « une douzaine de serrures dont moitié neuves et moitié vieilles », qu’il vend peut-être au poids, puisque sa boutique est équipée d’une balance. Mais maître Tacussiau n’est pas que serrurier. Il a chez lui une dizaine de tables, et du vin – de Vénissieux et de Côte-Rôtie, excusez du peu -, par tonneaux entiers, suffisamment pour abreuver jusqu’à plus soif bon nombre de voyageurs passant sur la route de Vienne. En somme, le bonhomme et sa femme sont aussi aubergistes.

Grâce à cette double activité, Gaspard roule sur l’or, et détient pour plus de 6000 Livres d’espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui le rapproche d’un bourgeois de campagne. Mais il y a un hic : il est gravement malade. Il meurt le 18 juillet 1752, à l’âge de 37 ans seulement, en laissant derrière lui sa femme Françoise Roche, alors enceinte, et quatre enfants en bas-âge. La maison Tacussiau va-t-elle mettre la clé sous la porte ? Non, car Gaspard a pris soin d’entamer la formation de son fils aîné, Claude. Commencent alors des années difficiles, mais qui se finissent bien. Après avoir été un temps ouvrier chez un autre serrurier vénissian, Jacques Hourtin, le jeune Claude Tacussiau se marie en 1768 avec la demoiselle Marie Melin, qui lui apporte une belle dot de 699 Livres. Puis il devient à son tour la clé de voûte de l’entreprise familiale, en s’établissant comme maître serrurier dans l’atelier légué par son père. Les décennies passent, puis le fils aîné de Claude et de Marie, appelé lui aussi Claude Tacussiau, prend le relais de l’affaire, à l’orée du 19e siècle. Et ainsi, de génération en génération – au moins quatre, dans le cas des Tacussiau -, l’art de fabriquer des serrures se perpétue dans notre commune, au point que désormais il n’est plus un coffre, plus une armoire, plus une porte, qui n’en soit munis et décorés, puisqu’à l’époque ces mécanismes allient la grâce à l’efficacité. En somme, comme des clefs de Sol sur une partition de musique.

Sources : Archives municipales de Lyon, 1 GG 518 (17/11/1737). Archives du Rhône, 3 E 11452, 11453, 11456, 11490, 11495, 4 E 5376 et 5381.

Cliquer pour commenter

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez également

Actus

Le bailleur Vilogia promet aux locataires des dépenses deux à trois fois inférieures à celles d'un bâtiment répondant à la norme RE2020, pourtant la...

Sports

Trois athlètes du club de Feyzin-Vénissieux ont brillé, à domicile, à l’occasion du meeting de Pâques.

Actus

Ce jeune homme de 25 ans, passé par le lycée professionnel Hélène-Boucher, est devenu un chef pâtissier incontournable de la région lyonnaise

Actus

Même s’ils nous rendent service dans de nombreuses facettes de notre quotidien, ces substances ne sont pas sans danger pour notre santé.

Actus

Onze jeunes, anciens élèves de CM1 et CM2 à Louis-Pergaud, se sont rendus, ce 23 avril, au bunker Valentine à Brême, dans le cadre...