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Marche mémorielle : les stars vénissianes de la Gedenkmarsch

Du 24 au 27 avril, onze jeunes Vénissians ont participé à une grande marche de 80 km entre Brême et Sandbostel, en Allemagne. Commémorant les marches de la mort imposées par les nazis aux détenus des camps de concentration, elle fut également l’occasion de montrer l’opposition à la montée de l’AFD (Alternative für Deutschland). Ce groupe politique est désormais classé à l’extrême droite par le renseignement intérieur allemand.

  • Au bunker Valentine, lecture d'un extrait de "L'Enfer que Dante n'avait pas prévu"

« Comment ont-ils fait ? » Cette question traversait beaucoup d’esprits, ce 24 avril, alors que 785 personnes prenaient la route — selon le décompte de la police brêmoise, un chiffre qui, pour une fois, coïncidait avec celui des organisateurs puisque la police en faisait partie, aux côtés du land de Basse-Saxe et de l’association internationale de Neuengamme. Comment ont fait les détenus, sous-alimentés et mal chaussés, pour parcourir une telle distance de 80 km sous les coups de schlag de leurs bourreaux ?

Nous étions à Bremen-Farge, à quelques kilomètres de la ville de Brême, où s’élève le bunker Valentin. Lequel fut construit entre 1943 et 1945 par des milliers de détenus qui y travaillèrent dans des conditions déplorables et, pour certains, y moururent. Cette usine était destinée à la production de sous-marins.

Du bunker, la marche devait, en quatre jours, mener jusqu’au camp de Sandbostel, à près de 80 km de là. Elle commémorait la Todesmarsch (« marche de la mort ») que les nazis imposèrent aux détenus des camps alors que s’approchaient les armées alliées et qu’il ne fallait laisser aucun témoin de la barbarie du IIIe Reich.

Baptisée Gedenkmarsch (et aussi Steps to Remember), la marche mémorielle réunissait bien sûr une majorité d’Allemands. mais pas seulement. Onze jeunes Vénissians étaient présents, suite au travail de longue haleine menée par leur enseignante de CM1-CM2 de Louis-Pergaud, Nadia Bachmar. Un travail démarré en 2019 et qui aboutit, en 2021, à la représentation au théâtre du spectacle Vénissieux la belle, la rebelle. Avec, en 2022, l’arrivée d’une chanson écrite spécialement pour eux par Jean-Jacques Goldman.

Aujourd’hui collégiens à Paul-Éluard mais aussi Givors, Vienne et Lyon, Adem, Aymane, Amar, Amir, Brayane, Divine, Djibril, Guershom, Mariame, Salman et Suleyman ont continué de rencontrer régulièrement leur institutrice, au sein de l’association Envole-moi, Envolons-nous. Le 7 juin prochain, au Théâtre de Vénissieux, ils rejoueront le spectacle.

La délégation vénissiane était accompagnée par Jean Curial, président de la section Auvergne Rhône-Alpes de l’Amicale de Neuengamme. Fils de Georges Curial, déporté sous le matricule 36847, Jean était très ému de marcher avec ces jeunes — auprès de qui il a de nombreuses fois témoigné à Louis-Pergaud — sur les traces de son père. Les suivait également une équipe de cinéma des Films de la Robe rouge, composée de la réalisatrice vénissiane Nathalie Lanier, du chef op’ Adrien Picchirilli, de Liam Dubourg à la régie et assistant cameraman et de Manel Ouzazna à la prise de son.

Schwanewede, Uthlede, Hagen, Bokel, Stubben, Beverstedt, Volkmarst, Basdahl, Oerel, Bremervörde, Sandbostel : les étapes se sont succédé — « J’ai les jambes qui piquent, s’exclamait un collégien, mais c’est génial d’être là » — et les souvenirs s’accumulaient. Nos jeunes ont multiplié les rencontres, comme celle avec une vieille dame, Heide Marie Voigt, l’autrice de plusieurs livres, dont le dernier est Unsere Werte : Nicht Waffen — un titre qui peut se traduire par : Nos valeurs : pas les armes. Ils ont eu l’occasion de discuter avec la représentante de la fondation ArcelorMittal à Brême, avec plusieurs organisateurs de la marche et ont assisté à l’émouvant témoignage d’un vieil homme de 90 ans. Il avait 10 ans quand la marche de la mort est passée devant la maison de ses parents et il a vu deux détenus abattus par les nazis. L’homme ne s’en est jamais remis et, une fois adulte, a recherché les ossements des deux victimes. Il les a retrouvés récemment et a dressé une stèle sur la route pour qu’on se souvienne de ces deux déportés anonymes.

Tout au long de la route, les participants se posaient des questions sur ces jeunes Français, si bien qu’ils sont rapidement devenus les vedettes de la marche. On demandait à leur parler, ne serait-ce que pour connaître, comme le disait ce monsieur en souriant, « l’ennemi héréditaire », lui dont le grand-père avait succombé à Verdun et le père en Russie.

Le 25 avril au matin, à Hagen, devant plus d’un millier de personnes, les Vénissians ont eu l’occasion d’interpréter a cappella la chanson que leur a écrite Jean-Jacques Goldman. La qualité de l’écoute — malgré la barrière de la langue — et les applaudissements qui suivirent ont bien montré que le projet de Nadia Bachmar et Jean Curial, de faire participer les enfants à cette marche mémorielle, avait toute sa raison d’être.

Mes remerciements à Nadia Bachmar pour son travail, aux jeunes pour leur courage, leur gentillesse et leur talent, à Jean Curial pour toutes ses connaissances sur ce drame… et en souvenir de Charles Jeannin, qui créa le musée de la Résistance et de la Déportation de Vénissieux et qui fit partie de cette marche de la mort en 1945.

Jean Curial : « L’avenir de l’humanité, c’est eux ! »

Président de la section Auvergne Rhône-Alpes de l’Amicale de Neuengamme, Jean Curial a été très ému par cette semaine qu’il vient de passer en Allemagne. D’abord parce qu’il n’a cessé de penser à son père Georges, survivant d’une des marches de la mort. Il a été émerveillé par l’attitude, la résistance, le courage, en un mot la belle présence d’Adem, Aymane, Amar, Amir, Brayane, Divine, Djibril, Guershom, Mariame, Salman et Suleyman, des jeunes qu’il a connus quand ils étaient en CM2 et dont il a suivi le parcours.
Jean fut l’historien de ce voyage, livrant de nombreux renseignements sur les lieux traversés.

Expressions : Pourquoi était-il important de faire visiter aux jeunes Vénissians le bunker Valentin ?
Jean Curial : 10 000 hommes de toutes nationalités ont été forcés de travailler sur ce chantier. Et il y a eu 1600 morts de maladie, de malnutrition, des conditions de travail et de violences directes. Toute l’idéologie nazie était basée sur la perversité. N’oublions pas que 1 700 000 Allemands ont été éliminés par les nazis, parce qu’ils étaient juifs, opposants, handicapés, homosexuels, tziganes… Dans le seul camp de Neuengamme, étaient détenus 106 000 Français dont seulement 35% sont rentrés. Les nazis parlaient des déportés comme des « morceaux », Stücke en allemand. En revanche, l’un d’entre eux avait baptisé son chien Menschen, « homme ».

E. : Et sur la présence de ces collégiens de Vénissieux dans la marche ?
J.C. : Ils ont fait honneur à la jeunesse ! J’ai été touché par l’intérêt qu’ils portent à cette période. C’est un encouragement pour moi de considérer que l’avenir de l’humanité, c’est eux !

E. : C’était un beau moment, quand ils ont entonné la chanson de Jean-Jacques Goldman…
J.C. : Ce fut magnifique ! Il y avait un tel silence pour les écouter.

E. : Le camp de Sandbostel a marqué la fin de ce voyage. Vous avez connu de nombreux déportés qui vous en ont parlé ?
J.C. : Lors d’un pélérinage à Sandbostel, j’étais avec deux survivants, Raymond Gourlin, dit « Titi », et Jean Mevel. « Tu te souviens, demandait le premier, qu’il y avait ici une flaque avec plein de cadavres et que tu avais bu l’eau ? » L’autre ne s’en souvenait pas. Et Titi déposait toujours un bouquet de fleurs au milieu des ronces. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il y avait là des monceaux de cadavres, les yeux ouverts, les bouches ouvertes. Il a eu l’impression qu’ils lui criaient : « Regardez ce qu’ils nous ont fait et allez le dire ! ». Ce à quoi Raymond s’est consacré. Nous, qui sommes la deuxième génération, nous continuons. »

Sur le site www.campneuengamme.org, se trouve le blog de Jean : neuengamme69.blogspot.com/

Nadia Bachmar, l’initiatrice

En 2019, enseignante à l’école Louis-Pergaud, Nadia Bachmar lance un projet dont elle ne pouvait connaître les retombées qu’il aurait. Elle accueillit ainsi plusieurs fois dans sa classe de CM1, puis de CM2, les fils de déporté Jean Curial (président régional de l’Amicale de Neuengamme) et Maxime Kyrszak, l’écrivain Azouz Begag ou le chorégraphe Azdine Benyoucef, de la compagnie Second Souffle. Un spectacle naquit de ces rencontres, Vénissieux la belle, la rebelle, joué pour la première fois en 2021 au Théâtre de Vénissieux. Nadia parvint ensuite à contacter Jean-Jacques Goldman, dont le père avait été résistant MOI dans la région. En 2022, le chanteur préféré des Français écrivit spécialement une chanson pour les enfants.

Et ce n’est pas tout. Au sein de l’association Envole-moi, Envolons-nous, ceux qui sont désormais au collège ont participé à plusieurs commémorations — la prochaine à Meyzieu le 8 mai prochain — et se sont naturellement intégrés au projet du voyage en Allemagne, qui a pu se concrétiser grâce aux subsides de l’association, au GPV et à la Cité éducative.

« Je leur explique ce qu’est la citoyenneté, la liberté de penser, les Droits de l’Homme et qu’ils se souviennent de la Révolution française et de l’égalité pour tous. Dans le spectacle, nous avons placé en parallèle la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale et la résistance pendant les guerres coloniales. »

Respectée et aimée par ses anciens élèves, Nadia est également attentive à tout ce que ceux-ci peuvent éprouver, à plus forte raison quand ils se retrouvent, comme ce fut le cas lors de la visite du bunker Valentin de Bremen-Farge, confrontés à la barbarie nazie. « Les parents sont beaucoup à l’écoute et toute cette aventure représente vraiment une belle expérience. »

Ce « travail remarquable », ainsi que le qualifie à juste titre Jean Curial, trouve une fois de plus toute sa raison d’être dans ce voyage.

Nadia elle-même est très impressionnée par tout ce qu’elle voit. « Je n’avais jamais visité de camp. Qu’est-ce qui fait qu’on accepte d’obéir à de tels ordres ? »

Les prochaines étapes seront un téléfilm et un documentaire. Ce dernier sera réalisé par la Vénissiane Nathalie Lanier, qui a suivi les collégiens pendant toute la marche. Nous n’avons donc pas fini — et on s’en réjouit — de parler de ces jeunes gens.

Rencontres : des Allemands qui ne veulent pas oublier

Au cours d’une marche, on chemine beaucoup mais jamais seul. Les Allemands voulaient tout savoir sur ces jeunes Français qui s’étaient déplacés. Il était ainsi intéressant de discuter et d’apprendre le vécu de « l’autre camp ». Car, ici, les pères et les grands-pères ont été engagés dans la Wehrmacht ou la Kriegsmarine. Et leurs descendants, quel que soit l’âge, évoquaient tous la honte du nazisme.

Le bunker Valentin (Photo JCL)

Le premier vrai contact fut avec Ima, la guide francophone du bunker Valentin. Face à l’imposant bâtiment construit par les prisonniers et dont le plafond a une épaisseur de 7 mètres, elle parle de « la déshumanisation du système nazi » et ajoute, montrant une maison à peu de distance qui existait déjà dans les années quarante : « Les Allemands ont déclaré, après la guerre, qu’ils n’étaient pas au courant de ce qui se passait. Regardez où étaient leurs habitations. Ce n’est pas possible qu’ils n’aient rien su ! Aujourd’hui, le gouvernement fait beaucoup de sensibilisation sur cette question. Ce qui n’empêche pas qu’en 2016, quelqu’un a brûlé des gerbes déposées et a inscrit « Antifa, ta gueule ! » Sur un autre graffiti, était inscrit : « Arrêtez le culte de la culpabilisation ». Alors, quelqu’un d’autre a ajouté : « Arrêtez le culte de la droite ! » Dans l’histoire de l’Allemagne, beaucoup disent qu’il y a du gris. Pour ma part, je dis qu’il y a beaucoup de noir foncé !»

À la fin de la visite du bunker, Nadia Bachmar et Jean Curial demandent leurs impressions aux enfants. Amar a retenu que les murs très épais du bâtiment contiennent fatalement des corps de détenus morts pendant la construction. « Cette histoire, précise Divine, est trop importante pour qu’elle soit oubliée. » Suleyman et Salman ont été choqués « par la taille et l’histoire » du bunker tandis qu’Ayman remarque que « les gens ont tendance à oublier leur histoire et la nier ». Quant à Brayane, le lieu lui a fait « froid dans le dos ». L’un d’entre eux lit même à voix haute un extrait du livre écrit par le déporté Raymond Portefaix, L’Enfer que Dante n’avait pas prévu.

Une fois la marche commencée — et très bien organisée par la police, avec des affiches qui claironnent « Polizeischutz für Demokratie », c’est-à-dire « Protection policière pour la démocratie » —, on comprend rapidement qu’elle est à la fois mémorielle et opposée à la montée du parti d’extrême droite.

Berndt et Thomas (Photo JCL)

Ainsi, au cours d’une discussion en anglais avec Thomas et Berndt, alors qu’on leur demande leur avis sur la montée de l’AFD, le parti désormais classé à l’extrême droite par le renseignement intérieur allemand, ils répondent : « That’s the reason we are here » (« C’est la raison pour laquelle nous sommes ici »). « L’idéologie nazie, poursuivent-ils, c’était « Make Germany great again », le même discours que Trump ! »

Thomas raconte que son père s’est engagé, qu’il a été sur le front russe et a failli se faire amputer des pieds, à cause du froid. « Après la guerre, il éprouvait de la rage, la rage contre le sort qui l’avait fait s’engager et participer à cette guerre ». Quant au père de Berndt, il était dans la marine et son navire coula près des côtes basques. Il fut sauvé par des pêcheurs français qui l’ont laissé rejoindre les troupes allemandes.

Lors d’une halte suivante, l’écrivaine Heide Marie Voigt lit, en français, un poème et ajoute : « J’attache de la valeur à toute forme de vie. »

Propos : marcher pour une cause

Ce jour-là, la halte de fin de journée se fait à Oerel. Devant la caméra de la réalisatrice vénissiane Nathalie Lanier, les enfants se détendent, assis sur une pelouse, et s’expriment sur l’expérience qu’ils vivent.

Amar : « J’ai pu échanger avec des personnes qui ne parlaient pas la même langue que moi, comme des Allemands qui m’ont questionné en anglais. J’ai même discuté avec un Afghan. »
Amir : « Je suis content d’avoir marché pour une cause importante, d’avoir échangé avec des gens que je ne connaissais pas et d’avoir appris des choses sur l’Histoire. »
Salman : « C’est une chance de participer à cette marche ! Mais, pour tous ceux qui l’ont fait il y a 80 ans, ce n’en était pas une. On le fait pour se remémorer.»
Divine : « Je ne marche pas souvent. J’ai pensé aux déportés, combien ça devait être douloureux pour eux, d’autant qu’il y avait les SS. »
Suleyman : « C’était difficile au début. Cela fait trois jours qu’on marche et je me suis habitué. Je me sens bien et je pense aux déportés qui ont souffert. Pour moi, c’est difficile mais, pour eux, encore plus. Et puis, on marche pour une même cause avec des gens qu’on ne connaît pas. »
Adem : « J’ai mal aux pieds, au dos mais j’ai le bonheur de marcher avec mes camarades pour une cause juste. Je vois ce que les déportés ont vécu mais en moins pire car on peut manger.»
Ayman : « Je ressens de la fierté d’être invité ici pour marcher et me remémorer les déportés qui ont souffert. »
Djibril : « En marchant, je veux rendre hommage. J’ai mal aux pieds mais je me suis accroché pour continuer. »
Brayan : « Comme Djibril, je me suis accroché parce que c’est un honneur. Et on a pu chanter la chanson de Jean-Jacques Goldman. »
Suleyman : « En plus, la chanson a été suivie d’un grand silence. Je crois qu’on a géré. »
Divine : « A cappella, les paroles sont plus frappantes. Tout le monde écoutait, c’était spécial. »
Gershom : « Ceux qui ont marché n’ont pas eu le choix. Nous, il ne faut pas abandonner. »
Mariame : « On suit la même route qu’eux mais ça ne peut pas être pire que ce qu’ils ont vécu. Et puis, c’est sympa qu’on le fasse ensemble. »

 

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. Jean CURIAL

    7 mai 2025 à 11 h 29 min

    Mille merci à toi Jean-Charles pour ce fantastique et très émouvant reportage
    Si tu me le permets je reprendrai des passages qui complèterons mon blog dont tu parles (en particulier les commentaires des Jeunes)
    Et surtout à bientôt de se revoir
    Jean Curial

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