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Portraits

Luis Ballesteros, Ibère sensible

Le Foyer espagnol de Vénissieux va fêter ses 45 ans le 9 avril. Luis Ballesteros, son actuel président, fait partie des fondateurs. Un homme à l’image de l’association, enjoué et chaleureux.

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Sur une table installée au centre du vaste hall du “Foyer espagnol culturel et récréatif de Vénissieux”, quatre joueurs tapent le carton, terminant une partie assez animée de tute subastado, “une sorte de coinche espagnole”, vulgarise à notre intention Luis Ballesteros, président de l’association. À 77 ans, Luis a été plusieurs fois président, vice-président et secrétaire, “mais jamais trésorier, s’amuse-t-il. Les chiffres, c’est pas mon truc, et les copains le savent !”

Luis Ballesteros est né le 25 août 1939 à Villar de Canas, un petit village de la province de Castilla la Mancha. Calme et chaleureux, c’est pourtant le genre de retraité qui ne tient pas longtemps en place. Luis à son explication à cette bougeotte. “C’est parce que j’ai été conçu en prison !” Voilà qui demande explication. “Je n’ai fait la connaissance de mon père qu’à l’âge de 3 ans, quand il est sorti des geôles fascistes. Il y avait été flanqué deux ans auparavant, faut dire qu’il avait le profil.” Son père, Pedro, avait repris l’exploitation agricole de ses parents, après avoir commencé des études de séminariste (“ce qui l’avait rendu athée”) puis de médecine. Il était devenu, à 36 ans, commissaire politique républicain à Villar de Canas. En 1938, il est capturé par les troupes du général factieux Franco, qui l’incorporent de force dans l’armée, à Badajoz. Il déserte mais commet l’erreur de revenir dans son village. Dénoncé par les notables locaux, il est cette fois condamné à la prison à perpétuité. Une peine commuée en 10 ans de réclusion sur l’intervention de sa belle famille. “Son beau-père, mon grand-père donc, avait été gouverneur militaire de la région de Tarragone, ça a un peu aidé ! Sa formation médicale lui a permis de travailler à l’infirmerie de la prison, où il eut la possibilité de recevoir sa femme. D’où ma conception, pas immaculée mais incarcérée !”

Sorti au bout de cinq ans mais banni de la région, Pedro Ballesteros et sa petite famille s’installent à Barcelone. Interdit d’exercer la médecine ou de devenir fonctionnaire à cause de ses antécédents, il travaille la plupart du temps comme saisonnier agricole. Son fils Luis est placé à l’internat à l’âge de 8 ans. Il ne garde pas un bon souvenir de cette école publique où l’enseignement était assuré par des religieux ultra-conservateurs. À 14 ans, Luis entre comme photograveur dans une imprimerie. Dix ans plus tard, alors que la jeunesse européenne commence à secouer le joug des pesanteurs de l’après-guerre, il se sent étouffer sous l’éteignoir de la dictature du Caudillo. “Un jour, dans le tramway, j’ai vu un jeune garde civil gifler un vieux monsieur qui discutait en catalan avec un ami. Le flic lui a hurlé : “parle chrétien !” ça a été la goutte qui a fait déborder le vase. J’ai dit à mon père “si je ne pars pas maintenant, moi aussi je vais me retrouver en prison.”

En 1963, un manteau sur le dos, une valise à la main, direction Estació de França, destination… Stockholm. Là-bas, un copain peut lui fournir du travail dans une maison d’édition. Son étape chez des amis à Lyon va durer plus longtemps que prévu… “Reste ici, m’ont-ils dit, en Suède il fait froid et on mange mal ! C’était sensé, je suis resté.” Mais pour prétendre à un emploi de photograveur, il lui faut apprendre à lire et écrire en français. Logé à Villeurbanne, il travaille dans une usine de lampadaires. “Je me suis donné de la peine, j’écoutais les collègues, je lisais beaucoup, j’allais au cinéma. Au bout d’un an, j’avais toujours l’accent catalan mais le niveau requis en français !”

Comme en Espagne il a travaillé sur des machines modernes, son expérience est recherchée. Il entre chez Photomatic où il deviendra responsable “maquette et mise au net” de cette société d’édition de catalogues basée à Caluire, Vaulx-en-Velin puis Vaise. Il rejoindra plus tard Data Scanner, à Bron, plus près de chez lui, et y restera jusqu’à l’âge de la retraite. “Je suis parti quand les ordinateurs arrivaient. Ça tombait bien, j’étais trop vieux pour me former à ces machins !”

Comme beaucoup d’Espagnols expatriés, Luis s’était promis de revenir au pays à la mort de Franco. Fin 1975, il fait pourtant un autre choix. “Mes enfants étaient nés en France, ils avaient 10 ans et tous leurs copains ici, leur vie était là. La nôtre aussi, finalement. On est restés et on ne l’a jamais regretté.” “Là”, c’est Vénissieux, aux Minguettes, dans l’appartement où il a emménagé en 1969, avec sa femme Juliana, leur fille et leurs deux garçons. “On venait d’un petit logement dans Lyon. Quand on a débarqué avenue Vladimir-Komarov dans ce F5 immense et tout neuf, où les enfants avaient chacun leur chambre, avec le chauffage central et tous ces espaces verts autour de l’immeuble, c’était comme si on avait gagné au loto !”

“Les conférences, les voyages,
les ateliers artistiques
étaient une manière de ne pas perdre
le lien avec notre pays natal.”

Depuis bien longtemps, la communauté hispanique est l’une des plus importante de Vénissieux, surtout présente vers la rue Paul-Bert et dans le quartier du Charréard. “À la fin des années soixante, les hommes se rencontraient au bistrot pour parler du pays pendant que les femmes faisaient le marché. Ce n’était pas très pratique et ça mettait les femmes à l’écart. En juin 1971, un copain me dit qu’un foyer culturel espagnol vient tout juste de naître, qui se réunit au foyer communal Max-Barel une fois par semaine. C’est un peu comme pour Lyon : j’y suis allé, je n’en suis plus jamais parti.”

Au fil du temps et de la croissance de l’association, le “Hogar español cultural y recreativo de Vénissieux” passe des Minguettes au boulevard du Docteur-Coblod, puis atterrit au 26 de la rue André-Sentuc, dans un ancien atelier de mécanique mis à sa disposition par la commune. La Ville fait les travaux de mise en conformité, le chauffage et les sanitaires. “Le reste, ce sont les adhérents qui l’ont fait, du sol — nettoyé puis carrelé — au plafond, ainsi que les peintures murales, l’estrade pour le flamenco, la cuisine et la buvette.”

Les fondateurs étaient Mario Palomo, José Augustin, Edelmio Torres, Antonio Carmona, José Seguer, Patricio Moral, Aurelio Gomez… “Leur objectif était de créer un lieu de rencontre où des gens issus de différents courants de l’anti-franquisme — des républicains, des socialistes, des communistes, des anarchistes — pourraient se retrouver sans s’engueuler, un objectif ambitieux quand on connaît les Espagnols !”

Constituant l’une des premières associations démocratiques espagnoles en France, le Foyer est venu souvent en appui d’actions de solidarité (certains se souviennent encore des kilos de paella préparée pour le piquet de grève de Véninov…) mais il revendique son apolitisme. “Chacun est libre de ses convictions, bien sûr, mais elles ne doivent pas influencer les activités de l’association. Quand il y a des élections locales, nous invitons tous les candidats à nous présenter leur programme, par exemple. Bon, sauf ceux d’extrême-droite, mais ça, c’est dans les gènes de l’association !”

L’objectif de départ a évolué au fil du temps, notamment après l’établissement d’une démocratie en Espagne. “L’aspect culturel a pris le dessus, analyse Luis. Les conférences, les voyages, les ateliers artistiques étaient une manière de ne pas perdre le lien avec notre pays natal, puis c’est devenu aussi une façon de transmettre notre culture, à nos enfants, nos petits-enfants et au-delà.” En effet, il y a de plus en plus de non Espagnols parmi les 350 adhérents du Foyer, et ça n’a l’air de poser problème à personne. “Nous, les anciens, on se mariait plutôt entre gens du pays, mais nos enfants ont pris des conjoints venus de partout, à l’image de Vénissieux et de la France. C’est bien, le feuillage de nos arbres généalogiques s’étoffe et les racines puisent plus loin !”


45 años, una buena edad !

Mais oui, 45 ans, c’est le bel âge ! Le 9 avril, le Foyer espagnol fête son anniversaire. Pas de champagne mais une grande sangria servie à partir de 16 heures, au siège de l’association, rue André-Sentuc. Depuis 1971, le “Hogar español cultural y recreativo de Vénissieux” fait découvrir et partager la culture hispanique au travers de nombreuses activités : conférences, dégustations, expos, cours de danse et de langue (assurés par l’Institut Cervantès le samedi matin, par les adhérents eux-mêmes dans la semaine), sorties et voyages. D’ailleurs, il reste quelques places pour le voyage (en car) à Calella, sur la Costa Brava, organisé du 8 au 17 mai prochain. Avis aux amateurs !

Foyer espagnol culturel et récréatif de Vénissieux
26, rue André-Sentuc BP79 69633 Vénissieux cedex
Tel : 09 50 54 99 58

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. jose MARQUEZ

    11 juin 2020 à 11 h 13 min

    LIVRE Les tiroirs de ma mémoire

    En entrant dans cette gare ce 31 mars 1956, qui aurait pu imaginer qu’un jour je me mettrais à l’écriture. Moi, fils d’immigrés espagnols que l’on avait arraché aux bras d’une grand-mère aimante ainsi qu’à une pauvreté presque miséreuse.
    Ce père qui m’emmenait dans un pays dont je ne connaissais ni la langue ni les coutumes.
    Me faire quitter ces rues en terre battue poussiéreuses mais remplies de soleil pour des rues pavées froides et humides.
    Ce père qui s’était laissé emporter dans ce tourbillon d’immigrés à la recherche d’une vie meilleure en emportant avec lui femme et enfants, les arrachant à ce quartier de Barcelone où la misère était de mise.
    Ce père autoritaire, obstiné, contradictoire, entêté, qui manquait d’amour et d’humour et une mère qui était capable de vous faire croire que vous étiez la huitième merveille du monde pour quelques pièces de monnaie.
    Je suis allé fouiller au plus profond des tiroirs de ma mémoire à la recherche de ce petit garçon, qui cherche toujours la définition du mot famille tendresse et amour.

    José Marquez

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