

Il y avait du monde, ce 21 novembre dans la soirée, au cinéma Gérard-Philipe. Non seulement parce que le public était curieux de découvrir Promis le ciel, un film projeté en avant-première, en partenariat avec les associations Coup de soleil et Maghreb des films. Mais aussi parce que beaucoup connaissaient la réalisatrice, Erige Sehiri, qui a grandi aux Minguettes, dans le quartier Marcel-Cachin.
Celle-ci rappelait d’emblée ses racines : « Gérard-Philipe est le cinéma de mon enfance. C’est là où j’ai vécu et je garde un souvenir fort de Titanic, découvert ici. »
Après un court-métrage documentaire, Le Facebook de mon père, et deux longs-métrages remarqués, La Voie normale et Sous les figues, Erige présentait son nouveau film, exemple, expliqua-t-elle, « d’un cinéma engagé parce que j’ai grandi ici, avec vous ».


La petite Estelle Kenza Dogbo et Aïssa Maïga
Promis le ciel se déroule à Tunis et décrit le quotidien de trois jeunes femmes subsahariennes, interprétées par Aïssa Maïga, Laetitia Ky et Debora Lobe Naney, qui ont recueilli chez elles une petite fille, Kenza (Estelle Kenza Dogbo), orpheline et sauvée d’un naufrage de migrants. La première est pasteur évangélique, la seconde étudiante et la troisième se débrouille comme elle peut, alors qu’elle a laissé sa fille chez elle, en Côte d’Ivoire.
Sur la profession de la première, Erige apporte des précisions : « À Vénissieux, dans les années quatre-vingt-dix, on trouvait des mosquées dans les caves, avant qu’elles ne deviennent légales. En Tunisie, les églises s’installent dans des maisons, en clandestinité. L’évangélisme est considéré comme une secte. Je voulais inverser les choses. Là-bas, c’est nous, les blancs, alors qu’ici, nous ne sommes pas considérés comme tels. »
Elle ajoute : « Au fil de l’écriture, la petite Kenza, qui aurait dû être au centre du film, s’est retrouvée laissée-pour-compte. Je me suis intéressée aux trois femmes et à cette sororité mise à l’épreuve. On voit souvent, dans les films d’aujourd’hui, des combats de femmes qui agissent ensemble. Je ne trouve pas cela très réaliste ! »
Ainsi, le scénario ne suit-il pas une ligne définie — la manière dont les trois vont s’occuper d’une petite fille entrée dans le pays en toute illégalité — mais nous offre une succession de séquences montrant les différentes activités des trois héroïnes : la foi pour le pasteur, l’envie de liberté et d’indépendance pour l’étudiante, les petits trafics pour récupérer de l’argent et pouvoir se payer le passage vers l’Europe pour la troisième.
Tourné dans l’urgence
« Tourné dans l’urgence, reprend Erige, le film décrit un entre-deux : entre le Subsahara et l’Europe, entre le jour et la nuit, entre rester ou partir. Il montre aussi comment la politique européenne envers les migrants influence la politique tunisienne, avec également du racisme. Les trois femmes ont une vie très fragmentée et le récit l’est aussi. »


Aïssa Maïga, Estelle Kenza Dogbo, Laetitia Ky et Debora Lobe Naney
Cet entre-deux baigne également les actions des personnages. Bien que sympathiques, les trois femmes peuvent soudain devenir dures ou faire n’importe quoi, ce qui les rend plus crédibles, plus humaines. D’ailleurs, à propos du rôle joué par Aïssa Maïga, Erige lâche : « On ne sait pas si elle est honnête ou pas. »
La réalité montrée dans le film est, reconnaît-elle, moins violente que dans la vraie vie. « J’ai atténué pour mieux regarder leurs personnalités, leurs individualités. Qu’est-ce qui nous reste de l’autre quand on a vécu un moment ensemble dans l’adversité ? »
Elle précise que la première version du scénario ne comprenait que deux personnages, la pasteure et l’étudiante, et que le troisième s’est rajouté suite à sa rencontre avec Debora Lobe Naney. « Ça a tout chamboulé ! Elle avait vraiment traversé la Méditerranée. » On ne peut qu’apprécier la décision de la cinéaste, tant ce personnage est fort et tant est impressionnante son interprète. Le casting est d’ailleurs idéal, non seulement en ce qui concerne les trois actrices principales mais aussi les personnages secondaires. Citons Foued Zaazaa, qui incarne cet ami qui apporte une note d’humour — « C’était sa première expérience au cinéma », indique Erige —, et Mohamed Grayaâ (le propriétaire). « Ce grand acteur tunisien a accepté de jouer ici un second rôle. »
Quant au titre du film, il vient d’une chanson de Delgres, entendue pendant le générique final. Les paroles disent « On m’a promis le ciel, en attendant j’suis sur la Terre ». Erige renchérit : « Mon film repose sur des promesses. Celles d’une mère à sa fille, d’un pasteur à ses fidèles, d’un gouvernement aux citoyens. Des promesses non tenues… »
« Promis le ciel » d’Erige Sehiri sortira sur les écrans le 28 janvier 2026.



































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