Étrange parcours que celui de Terez Bardaine, illustré avec humour par le titre du recueil qu’elle publie à La Rumeur libre, dans une collection poétique coordonnée par l’Espace Pandora : Déchiffrée par les lettres. Car cette native d’Ille-et-Vilaine, « entre Rennes et Saint-Malo », aujourd’hui en résidence littéraire à Vénissieux, n’a pas toujours écrit de la poésie.
« J’ai passé à Toulouse un DESS d’ingénierie et de gestion des systèmes d’information et d’organisation. C’était l’époque passionnante des premiers ordinateurs personnels, l’informatique était une révolution. Je voulais faire des statistiques parce qu’elles ne m’enfermaient pas dans un domaine et me permettaient de travailler dans l’agriculture ou le médical. On n’en fait pas sans informatique, aussi j’ai suivi une double formation qui m’a captivée. Comme un jeu ! J’écoutais les besoins des entreprises, j’étais à l’interface entre les demandeurs et ceux qui allaient coder. »
Travaillant dans des cabinets de conseils, ayant vécu à Angers, Lille, aux Pays-Bas, à Bruxelles et Paris, Terez prend conscience qu’elle est la complice d’un monde dont elle ne veut pas. Elle décide de tout plaquer. « Je gagnais bien ma vie mais, comme je décidai de m’installer à Morlaix, j’avais besoin de cinq fois moins d’argent. Ce fut un changement radical, du jour au lendemain. »
Malgré tout, sa situation n’est pas simple. « Mes parents étaient exploitants agricoles et j’avais connu la pauvreté quand j’étais jeune. J’avais peur de me retrouver dans la rue. Il fallait que je fonce, que je trouve des idées. »
Terez a toujours aimé les livres. Elle est férue de littérature scandinave. « Je dois ce goût à l’influence protestante que j’ai eue en vivant six mois aux Pays-Bas. Je suis très sensible à la souffrance des hommes et je m’intéresse au suicide, très fréquent en Bretagne et dans le Grand Nord. »
Les récits de vie
La lecture l’amène tout naturellement à l’écriture. Et aux récits de vie. « Les gens désirent raconter leur existence, même s’ils pensent n’avoir rien d’intéressant à dire. C’est ainsi qu’un marin de Paimpol a voulu que j’écrive son livre, alors que je n’avais encore rien publié. Il évoquait surtout la pêche côtière et je lui ai proposé un roman. J’en lisais énormément mais je pensais être incapable d’en écrire. »
Terez mène ce défi jusqu’au bout et, après Marin, elle traduit en livres plusieurs récits de vie. « Ces personnes ont souvent besoin d’un témoin. L’autre les reconnaît en les écoutant. En lisant ce que j’avais écrit sur eux, ils étaient souvent étonnés, heureux. C’était leurs mots ! Ils se disaient : j’ai eu une vie. Ils pouvaient la quitter et partir en paix. Sauf pour le marin, qui voulait que le roman soit diffusé, chaque livre était imprimé entre 20 et 50 exemplaires. En tout, j’en ai fait une trentaine. »
À Saint-Malo, Terez fréquente assidûment le festival Étonnants Voyageurs, créé en 1990 par Michel Le Bris. C’est à lui qu’elle doit l’orthographe de son prénom. « Michel habitait entre Terenez et Barnenez, deux pointes entre lesquelles je faisais moi-même de l’aviron. Terez est devenu mon nouveau nom de baptême quand j’ai commencé à écrire de la poésie. »
De la poésie ? Pourtant, elle avoue qu’elle ne supportait pas. Puis il y eut des rencontres…
« La poésie est vraiment un virus. Je n’en lisais pas, j’aimais juste celle de Thierry Renard, quand il la disait à Saint-Malo, au cours du festival. Et Yvon Le Men avait écrit Besoin de poème, qui fut une révélation. »
En 2020, Terez se débat avec un récit de vie qu’elle ne parvient à mettre dans sa forme idéale. Arrivent la crise sanitaire et les confinements. Elle écrit Errants, un poème que l’on retrouve dans Déchiffrée par les lettres, dans lequel on lit : « Marcher vers l’autre/Sans jamais, jamais s’arrêter/ sauf pour mourir /Éclaire mon devenir. »
« Je l’ai envoyé à Thierry Renard qui m’en a demandé d’autres. Cela me libérait de quelque chose d’en écrire. »
Vénissieux
Thierry Renard publie le recueil à La Rumeur libre et invite Terez en résidence à Vénissieux. Ce qui étonne de prime abord l’autrice, c’est l’absence de librairie, « alors que les gens lisent, c’est visible avec la boîte à livres qui se trouve en face de Pandora ».
« Vénissieux est une ville agréable, avec de petits immeubles de 4-5 étages qui sont bien et qui remplacent les anciennes maisons rasées. » Elle se réjouit aussi « que le maire soit une femme, qui fait du bon boulot ». Elle reprend : « On entend parler de banlieues. Pour moi, ce sont d’abord des villes. Et je ne vois pas de différence entre Rennes et Vénissieux… Sauf qu’ici, la mer n’est pas à proximité. On note toujours un décalage entre l’image que l’on se fait d’un lieu et celle que l’on a quand on y vit. »
Elle adore aussi tous ces enfants qu’elle voit à Vénissieux, « une grosse différence avec Morlaix ». « Ils ont des profs formidables qui font venir dans les classes des écrivains et des artistes. Les enfants ont rédigé des poèmes qui m’ont étonnée. Je leur avais lu un texte de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson qui dit que le poème ne nous rend ni humble ni timide mais sincère. Il faut justement être sincère avec les enfants. »
Terez a ainsi travaillé — et c’est loin d’être fini — avec des groupes d’enfants et d’adultes des ateliers Henri-Matisse, avec une classe de primo-arrivants de Pasteur et des collégiens de Paul-Éluard, etc. « C’est un véritable échange. Je reçois presque plus que je ne donne. Ce matin, par exemple, j’ai vu que certains étaient remués par ce qu’ils avaient écrit. »
Terez Bardaine participera au Jour du livre, le 7 mai, sur le parvis de la médiathèque Lucie-Aubrac.
Habitante
23 avril 2022 à 7 h 43 min
D’accord avec cette auteure, il manque une librairie à Vénissieux, la boîte à livres du centre est dévalisée dès que l’on pose des livres. La 3ème ville du Rhône devrait avoir une librairie, merci à toutes et tous de vous mobiliser pour faire installer un(e) libraire dans notre ville. La médiathèque et Pandora ne suffisent pas à combler ce manque, fouiner, offrir des livres, passer un moment à feuilleter les parutions, un plaisir qui manque à nombre de vénissians.