Photo Emmanuel FOUDROT
Si vous arpentez régulièrement les voies et les sentiers du parc de Parilly, vous l’avez sans doute croisé. D’un pas vigoureux et régulier, Stéphane Dobralian parcourt quotidiennement à pied, avec son épouse, ce petit poumon vert bien connu des Vénissians, des Brondillants et des habitants des communes voisines. « Tous les jours, on fait nos cinq ou six kilomètres, explique-t-il. Ça nous maintient en forme, on ressent un véritable bien-être, en pleine nature. On croise des connaissances, et parfois, aussi, on fait des rencontres. » Nous osons à peine lui demander son âge. « Je suis né le 19 mars 1936, j’ai 89 ans », répond-il fièrement.
Stéphane Dobralian est issu de parents arméniens, arrivés en 1928 à Marseille. Son père travaille quelque temps dans la cité phocéenne avant s’installer à quelques pas du parc de Parilly, avec d’autres familles arméniennes dans de petites maisons qu’ils construisent eux-mêmes. « Notre rue, on aurait pu l’appeler la rue des Arméniens », sourit-il.
Mais le sort prend la famille en grippe. Le frère ainé de Stéphane — venu au monde six ans avant lui — décède en 1930. Et quelques années après la naissance de Stéphane, sa mère succombe à la tuberculose. « Mon père était un homme courageux, qui nous a élevés seul, mon autre grand frère et moi. C’était quelqu’un de débrouillard, qui disait toujours qu’il fallait gagner sa vie, donc travailler. Quand j’ai commencé à gagner la mienne, je n’ai jamais rechigné à la tâche. Il m’est arrivé de faire des mois à plus de 300 heures. Et pendant sept années consécutives j’ai passé le réveillon à l’usine… en amenant la dinde dans ma besace. »
À l’abri du parc
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le jeune Stéphane a trois ans et demi. À la Libération, il en a neuf. Entre-temps, la vie suit son cours. « On n’était pas vraiment conscients de la guerre et de ses horreurs, et on n’a jamais vraiment eu faim ou été inquiets, même si on a connu des périodes difficiles », se souvient-il. Il évoque tout juste quelques scènes « bizarres » auxquelles les jeunes enfants ne comprennent que peu de choses. Comme la présence, un jour pendant l’Occupation, de ces deux chars allemands dans les rues. Lesquelles, à cette époque, étaient encore des chemins de terre qui menaient à un parc de Parilly à l’état sauvage. « Quand il y avait des bombardements et des fusées éclairantes, la population se réfugiait dans le parc. C’était le meilleur des abris […] Mais c’était également le lieu idéal pour faire griller des pommes de terre et du maïs, bien à l’abri dans les champs de luzerne ou de blé. »
À quinze ans, Stéphane Dobralian quitte une école qui ne lui convient guère. « Je n’étais pas un bon élève », confie celui qui, après deux années de pensionnat, entre dix et douze ans, attendait patiemment la vie professionnelle. Il devient donc tourneur à quinze ans, faute d’avoir pu trouver une place pour une formation de chaudronnier. Il le restera jusqu’à son départ en Algérie et ses 31 mois de service militaire. Parallèlement, il entre dans l’équipe du FC Lyon. « Le football m’a énormément plu avec son esprit d’équipe. J’en ai gardé de très bons souvenirs. On est quand même allés jusqu’à la demi-finale de la coupe Gambardella ! »
Marcher, pour ne pas s’arrêter
De retour à Lyon, une opération médicale le contraint à passer à la marche à pied. Ce sera bien entendu dans le parc de Parilly, après avoir rejoint un groupe de passionnés, les Gones du parc. Puis, de la marche, il passe à la course à pied (« Ça ne bougeait pas assez ! ») qu’il n’abandonnera qu’au début des années quatre-vingt-dix. « Je n’ai jamais arrêté une course », souligne-t-il. En 1992, il participera même à un raid en équipe d’un mois contre le cancer, de Lyon à Varsovie. Et les randonnées s’enchaînent, de Vénissieux aux Côtes d’Armor en passant par les Monts du lyonnais, jusqu’aux Pyrénées orientales et au Mercantour. Mais le mauvais sort s’acharne et lui enlève son fils, renversé dans le parc par une voiture en 1970.
Embauché à son retour du service militaire comme chef d’équipe à Saint-Gobain, il aura passé 37 ans en horaires postés, en « 4×8 ».Depuis, Stéphane Dobralian coule une retraite paisible dans cette maison, léguée par son père et dont il a fait doubler la surface au début des années quatre-vingt. « En donnant un coup de main aux maçons » — on ne se refait pas. « J’avais dit à mon père que je resterais ici, j’ai tenu parole ». Tel le Candide de Voltaire, il cultive avec son épouse un jardin auquel il tient presque plus qu’à tout, et qui fut récompensé il y a trois ans par une troisième place au concours des balcons fleuris de la Ville.
Dans ce quartier en pleine mutation, passé « en dix ans de la campagne à la ville », le couple se sent néanmoins « épargné » par l’étalement urbain et ses vicissitudes, même s’il ressent parfois « une certaine insécurité ». « On s’adapte », sourit Stéphane Dobralian. Avant de rappeler qu’à quelques centaines de mètres, s’étend le parc de Parilly, un lieu de mémoire, avec ses arbres, ses sentiers et son histoire, à jamais ancré en lui.
Photo Emmanuel FOUDROT
Parilly, le parc et les rêves du préfet
À sa nomination en 1934, Émile Bollaert, préfet du Rhône, souhaitait créer un grand espace vert pour la banlieue est de Lyon. Ce sera à Parilly.
Le projet prévoyait un parc naturel, et on envisageait même l’ajout d’un jardin d’acclimatation, de terrains de sport et même d’un zoo. En 1936, un concours de paysagistes est lancé et remporté par Paul Bellemain. Son projet comprend un jardin alpestre avec vue sur les Alpes, un lac central entouré d’une rivière artificielle, un stade, des courts de tennis, ou encore une piscine !
Les travaux débutent en 1937, mais s’arrêtent lorsque commence la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, le Conseil général du Rhône reprend le chantier… mais, faute de moyens, revoit ses ambitions. Le parc se fera sans le zoo, la patinoire et même le lac. Ce qui ne l’empêche pas de devenir, et d’être encore aujourd’hui, un lieu apprécié des habitants.
D’après un article d’Alain Belmont, paru le 23 juin 2010 dans le n°468 d’Expressions.