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Au service de tous : les Lapras, pharmaciens humanistes

Parmi les nombreux commerçants et artisans qui se sont succédé à Vénissieux au cours du XXe siècle, un couple de pharmaciens, Monsieur et Madame Lapras, a profondément marqué la mémoire collective de la ville.

Marcel et Marguerite Lapras (Photo DR)

C’est en poursuivant tous deux des études de pharmacie à Lyon que Marcel Lapras, né à Condrieu en 1898, et Marguerite Dalodier, née à Charlieu la même année, se rencontrent. Tous deux obtiennent le diplôme de docteur en pharmacie, Marcel en 1921 et Marguerite en 1922. Ce qui, à l’époque, est rare pour une femme. De même que le permis de conduire, qu’elle obtient peu après la fin de la guerre.

En 1925, Marcel Lapras, ouvre une officine avenue Jean Jaurès à Vénissieux. En mai 1927, il épouse Marguerite à Belleville-sur-Saône. Cinq fils naîtront de cette union : André, Claude, Michel, Bernard et Jean-Jacques. Après de brillantes études, André se spécialisera dans la chirurgie osseuse et les prothèses de hanches, en particulier. Claude choisira la neurochirurgie — et écrira un livre sur la chapelle de l’Hôtel-Dieu à Lyon —, Michel se dirigera vers la médecine vétérinaire, Bernard deviendra ingénieur et Jacques pharmacien-biologiste.

La pharmacie vénissiane connaît un développement croissant et obtient l’accord de la S.N.C.F. pour devenir fournisseur agrémenté des familles de cheminots. Le couple est apprécié pour sa simplicité, sa disponibilité et ses nombreux conseils. C’est l’époque où l’on trouve, dans toutes les officines de France, plusieurs sortes de médicaments : ceux à caractère général provenant de grands laboratoires, ceux élaborés dans l’arrière-boutique et ceux qui sont des créations « maison ». Ces derniers (gélules, sirops, pommades, suppositoires, vermicides, coricides) sont prisés par la clientèle.

Jusqu’au début des années soixante, il n’est pas rare que l’on vienne sonner en dehors des heures d’ouverture pour demander en urgence un médicament. Demeurant au-dessus du commerce, les Lapras sont toujours prêts à rendre service. C’est un temps où des familles ne peuvent payer la consultation chez un docteur, le pharmacien est alors leur seul salut. Lorsque le cas paraît inquiétant, Monsieur Lapras convainc les parents de consulter dès le lendemain un médecin et de le tenir informé. Son diagnostic est toujours conforme à celui du pharmacien.
Avec les différentes vagues d’immigration, le nombre d’Italiens et d’Espagnols parmi la clientèle va croissant. Les parents ne maîtrisant pas la langue française viennent avec leurs enfants. Ceux-ci écoutent attentivement les explications et traduisent. Madame Lapras s’émeut de cette situation. Elle décide d’apprendre, avec une incroyable rapidité, différentes langues. Et arrive ainsi à maîtriser l’espagnol, l’italien et l’arabe.

Des colis pour la Résistance

Les époux Lapras exercent leur profession comme un sacerdoce et, au fil des ans, leur renommée attire des habitants de Feyzin, Corbas, Chaponnay et Marennes.

Durant la Seconde Guerre, Marcel Lapras prépare de discrets colis qui contiennent toutes sortes de médicaments et produits de secours. À l’aide d’une chaîne d’entraide, ils sont dirigés et offerts à des résistants de la région.

En novembre 1942, avec l’invasion de la zone libre par l’armée allemande, les autorités municipales suggèrent, puis exigent, le départ de l’ensemble des mères de familles ayant des enfants en bas âge ou adolescents. Le couple de pharmaciens loue une maison à Marennes, où Madame Lapras reste à demeure avec ses plus jeunes fils. Ceux-ci sont alors scolarisés à l’école du village. Les trois aînés, pour leurs études, demeurent à Lyon ou à Vénissieux. Avec leur père, ils rejoignent Marennes chaque fois qu’ils le peuvent.

Les mois précédant la Libération, la vague de bombardements oblige l’ensemble des fils à vivre complètement à Marennes. Seul Marcel Lapras quitte « le village refuge » de bonne heure chaque jour et, après la fermeture de son officine, retourne auprès des siens.
Dans l’après midi du 1er septembre 1944, plusieurs soldats américains entrent dans Marennes, suivis, le lendemain 2 septembre, d’un nombre plus important d’hommes et de véhicules. Dans les jours et semaines qui suivent, l’ensemble des familles, réfugiées dans toutes ces communes autour de Lyon, réintègrent Vénissieux.

Les Lapras prennent leur retraite en 1967 et vont longtemps rester présents dans la mémoire collective. Marcel Lapras décède en 1990, âgé de 92 ans. Marguerite le suit en 1992, à 93 ans.

Une opération à 5 000 m d’altitude.

L’équipe au grand complet. Debout, de gauche à droite : Lionel Terray, Jean Bouvier, Pierre Leroux, André Vialatte, Guido Magnone, Michel Latreille, André Lapras, l’abbé Pierre Bordet. Accroupis, de gauche à droite : Jean Couzy, Serge Coupé, Jean Franco (Photo DR)

Après ses études au lycée Ampère puis à la faculté de médecine de Lyon, André, l’aîné des enfants Lapras, participe, en 1955, à l’expédition française à l’assaut du Makalu, dans l’Himalaya, l’un des plus hauts sommets du monde (8 515mètres), en qualité de médecin de la cordée. Le groupe d’alpinistes est dirigé par Jean Franco, et comprend, entre autres Lionel Terray. Entre le 15 et le 17 mai, par des températures de -30°, tous les hommes de l’expédition atteignent tour à tour le sommet. Depuis les débuts de l’himalayisme, c’est une première. Mais l’exploit ne s’arrête pas là !

En redescendant, un porteur népalais du nom de Sona tombe malade. Contractures, nausées, vomissements… Diagnostic : appendicite aiguë. Le docteur Lapras aimerait se tromper mais il n’a plus le choix : il faut opérer. L’ensemble de la cordée se situe alors à 5 000 mètres d’altitude. À minuit, trois tables de camping en aluminium, ficelées, servent pour l’opération et c’est dans des conditions incroyables, et avec des moyens de fortune, que se déroule l’intervention. Que le jeune médecin pratique à genoux ! Pour anesthésiant, de l’éther. Franco, Bouvier, Coupé et Leroux s’improvisent assistants du chirurgien. Le responsable des guides népalais sert d’interprète pour Sona. Il est quatre heures du matin lorsque André Lapras pose la dernière agrafe. Tous sont exténués mais l’opération a réussi, Sona vivra !

Très vite, l’annonce de l’intervention chirurgicale se répand dans les villages. Le passage des alpinistes dans chaque localité attire l’ensemble des habitants pour voir André Lapras, très vite surnommé le « Seigneur blanc ». Il est alors considéré, à son corps défendant, comme un puissant guérisseur, auteur de miracles. Toutes et tous veulent le voir, le toucher, le solliciter pour des soins Ils lui portent une véritable vénération. Cette expédition du Makalu va marquer à tout jamais André et l’ensemble des alpinistes.

Plus tard, André Lapras va se spécialiser en chirurgie osseuse et articulaire. Il fonde en 1967 à Mâcon, avec le docteur Claude Gabrielle, la clinique médico-chirurgicale du Val fleuri. Il devient l’un des pionniers en France de l’opération de la prothèse totale de hanche et le premier à installer une prothèse totale du genou. Au cours d’une ascension en moyenne montagne, à la Dent de Crolles (Isère) en août 1990, André Lapras décède accidentellement, à l’âge de 61 ans.

Sources
– Différents entretiens au cours des années 1994 et 1995 avec Bernard Lapras
– Jean Franco : Makalu, Arthaud, 1966
– Maguy Guilhen et Gérard Petit : Une prestigieuse famille vénissiane, les Lapras, Bulletin Vénissieux Retrouvailles n° 4, 1997
-Claude Lapras, Chantal Rousset-Beaumesnil : La chapelle de l’Hôtel-Dieu de Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoir, 2002
– Histoire de la SNCLF (Société de neurophysiologie clinique de langue française, 2012
– Souvenirs de la famille Petit

https://www.expeditions-unlimited.com/fr/blog/himalaya/le-makalu-8-485-m-une-page-heureuse-dans-lhistoire-de-lhimalaya‘

L’auteur, Gérard Petit
Fondateur et aujourd’hui président d’honneur de l’association Viniciacum, notre nouveau collaborateur est un passionné d’histoire locale. Prévue pour septembre, la sortie de son livre De Viniciacum à Vénissieux, édité par l’association présidée aujourd’hui par Clément Barioz, a été retardée à fin novembre-début décembre. « À l’origine, précise-t-il, ce livre concernait les églises de Vénissieux. Il a été élargi à de nombreux autres sujets qui concernent la commune. » Les chroniques de Gérard Petit viendront en complément de celles, mensuelles, de l’historien Alain Belmont.

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