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Territoire zéro chômeur longue durée : que faut-il en attendre ?

Le 6 avril, le conseil municipal de Vénissieux a voté en faveur de l’adhésion de la Ville à l’association Territoire zéro chômeur longue durée. Mais quelles réalités se cachent derrière ce dispositif né en 2017 ?

Le 6 avril, le conseil municipal de Vénissieux a voté en faveur de l’adhésion de la Ville à l’association Territoire zéro chômeur longue durée. Mais les élus n’ont pas caché leurs réserves : au-delà d’un nom “quelque peu vendeur voire démagogique” selon le maire, quelles réalités se cachent derrière ce dispositif né en 2017 ?

Une demande d’adhésion, mais des questions qui restent en suspens. Mardi 6 avril, le conseil municipal de Vénissieux a affiché sa volonté de voir la ville de Vénissieux rejoindre l’association Territoire zéro chômeur longue durée (TZCLD).

Celle-ci déploie depuis 2017 un dispositif qui doit notamment permettre de réduire le nombre de chômeurs longue durée dans les communes adhérentes. L’État avait ouvert en décembre 2020 le processus de candidatures de nouvelles communes. Depuis trois ans, et le lancement du dispositif, ce sont une dizaine d’expérimentations qui ont été menées en France – dont une à Villeurbanne.

“L’objectif de l’expérimentation est de montrer qu’il est possible, à l’échelle d’un territoire, sans surcoût pour la collectivité, de proposer à tout chômeur de longue durée qui le souhaite, un emploi à durée indéterminée et à temps choisi, en développant et finançant des activités utiles et non-concurrentes des emplois existants, pour répondre aux besoins des divers acteurs du territoire, expliquait Nicolas Porret, adjoint au maire en charge de l’économie sociale et solidaire et du commerce. (…) La Ville de Vénissieux souhaite marquer son intérêt pour le dispositif, formaliser son engagement et en évaluer la faisabilité en adhérant à l’association.”

Rappelons que l’un des principes fondamentaux du dispositif est de contacter les chômeurs de longue durée des territoires participants, et d’inclure ceux qui le souhaitent — et uniquement ceux-là — dans la démarche, en fonction de leur savoir-faire. Sur le plan du financement, le TZCLD propose de réaffecter au projet les dépenses sociales liées au chômage de longue durée des personnes concernées, lesquelles viendront s’ajouter au chiffre d’affaires de l’entreprise à but d’emploi (EBE) créée pour l’occasion. Par exemple, lorsqu’un ancien chômeur de longue durée est embauché dans une EBE, l’État verse 18 000 euros par an à l’entreprise pour subventionner son CDI. À terme, l’objectif étant que le chiffre d’affaires de l’entreprise grandisse suffisamment pour que l’État n’ait plus besoin de l’aider.

“Cette adhésion constitue une première étape permettant de collecter davantage d’informations sur la mise en œuvre possible du projet en bénéficiant du retour d’expériences d’autres collectivités adhérentes, ainsi que d’une formation en continu tout au long de la mise en œuvre du projet”, précisait l’élu au commerce. Une proposition d’adhésion qui a été adoptée, par le conseil municipal, à l’unanimité, l’opposition regrettant “le retard” pris dans la démarche.

“Encore des inconnues”

“Les chômeurs de longue durée ont des compétences, des potentiels à mobiliser et à valoriser, commentait le maire de Vénissieux, Michèle Picard. Il faut lever les obstacles, les accompagner dans leurs démarches, leur redonner confiance aussi, pour ouvrir le chemin vers l’emploi ou la formation. (…) L’adhésion de notre ville est une première étape. Il reste encore devant nous des inconnues, en matière de financement, notamment des locaux, dont l’expérimentation a besoin, pour développer et diffuser les projets. Nos services et nos partenaires vont s’y atteler, en inscrivant ce dispositif dans la perspective des conséquences économiques et sociales, de l’après-crise sanitaire. État, collectivités, partenaires économiques, tout le monde devra être présent à ce rendez-vous, et redoubler d’efforts dans les quartiers populaires notamment.”

Car c’est peu dire qu’au sein de la majorité, la participation de la ville au dispositif soulève certaines interrogations – au-delà de son nom, “quelque peu vendeur voire démagogique” selon le maire. Quel lieu d’installation pour la future EBE ? Avec quels partenaires, et quels financements publics ? Quelle intégration pour les futurs salariés, pour certains éloignés de l’emploi depuis des années ? Quelles perspectives d’embauche dans une entreprise “classique” pour les bénéficiaires ? Quelle concurrence avec le tissu économique local ? Quelles attentes en matière de rentabilité ? Autant de questions auxquelles Vénissieux devra, comme les autres bénéficiaires du dispositif, répondre au fur et à mesure des avancées d’un projet qui n’a pas besoin de se faire un nom, mais de rassurer.


Les réactions au conseil municipal

Djilannie Benmabrouk (groupe “Réponses Nouvelles” — majorité) :

“Notre candidature devra lever certains écueils. En effet, créer des activités, recruter, manager une EBE, intégrer et faire évoluer ses salariés, tout en s’assurant que ceux-ci ne font pas concurrence aux acteurs locaux, ne sera pas une mince affaire. Les défis à relever pour mener à bien un tel projet sont majeurs, et créer massivement des activités nouvelles fortes en main-d’œuvre constitue un défi stratégique. (…) Il nous faudra construire des projets, mobiliser des partenariats, définir un lieu d’installation, identifier des financements nationaux et métropolitains.”

Christophe Girard (groupe “La République Partout Pour Tous” — opposition) :

“Enfin ! Cela fait des années que nous avons identifié l’intérêt de ce dispositif astucieux et porteur de sens (…). Vous n’aviez jusque-là jamais fait acte de candidature. Nous vous l’avons reproché dans nos documents de la dernière campagne municipale et nous l’avions, pour notre part, inscrit dans notre programme pour Vénissieux. Pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, avez-vous eu tant de désintérêt pour une solution allant dans le sens de la dignité des personnes en chômage longue durée ?”

Fatma Loucif Hamidouche (groupe “Union des Vénissians Indépendants” — opposition)

“Vénissieux a malheureusement 40 % de chômage (24 % en réalité selon les dernières données de l’Insee, ndlr). L’association Territoire Zéro Chômeur Longue Durée a eu un bilan positif et a diminué la société d’assistance, laquelle a été remplacée par une société de travail. (…) La reprise d’un travail rejaillit sur toute la famille. C’est un projet qui fait revivre un territoire. (…) Vénissieux aurait pu se réveiller plus tôt et profiter de cette opportunité. Je regrette ces années perdues, mais mieux vaut tard que jamais.”

Aude Long (groupe “L’Écologie à Vénissieux” — majorité) :

“Le dispositif s’inscrit avant tout dans une dynamique de territoires, qui font le choix politique d’opter pour une organisation économique n’excluant personne. L’emploi est ainsi considéré comme un filet de sécurité, et autant que possible, comme un tremplin. Il permet de transformer un coût social pour les finances publiques en un investissement durable, humain et inclusif.”

Aurélien Scandolara (groupe “Communiste et Républicain” — majorité) :

“L’essentiel [de la lutte contre le chômage longue durée] se joue dans l’économie, avec le rôle central des entreprises et notamment des grandes entreprises et de leurs investissements. (…) Nous rappelons aussi qu’on ne fait pas reculer le chômage en augmentant la précarité, en supprimant le droit du travail, et en individualisant les énormes besoins de formations professionnelles dus aux évolutions technologiques. C’est pourquoi nous sommes attentifs au contexte de cette démarche, et pourquoi nous souhaitons que la ville soit attentive au contenu et aux conditions de mise en œuvre.”


Quel bilan pour les territoires zéro chômeurs ?

Du mieux, et ce tous les ans. Depuis l’adoption du projet de loi en 2016, le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée concerne 10 territoires, partout en France. Et il s’est concrétisé de différentes manières selon les zones.

Treize Entreprises à but d’emploi (EBE), neuf associations et quatre Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) ont été créées, avec plus de 1 110 personnes embauchées depuis 2017 dans des secteurs d’activité très variés. Par exemple, à Thiers (Puy de Dôme), “Actypoles” s’occupe de l’entretien des espaces verts. À Paris, l’EBE “XIII Avenir” propose des petits travaux de bricolage et de la réparation de vélos. Plus près de Vénissieux,”Emerjean”, à Villeurbanne, multiplie les offres de services, pour les particuliers comme pour les professionnels (voir ci-contre).

Les salariés bénéficiaires sont en moyenne privés d’emploi depuis 53,9 mois (environ 4 ans et demi) et présentent un âge moyen de 44 ans — selon les données communiquées lors du vote par l’Assemblée nationale, à la rentrée de septembre 2020, de l’extension du projet à 50 nouveaux territoires. Mais ils génèrent déjà des revenus pour l’entreprise, avec un chiffre d’affaires global qui continue de croître, pour atteindre environ 5 000 euros par ETP (Équivalent temps plein).

Trois hypothèses centrales et un débat

Dans le cadre de son extension, dont pourrait bénéficier Vénissieux, le dispositif reste structuré autour de trois hypothèses. Tout d’abord, personne n’est inemployable : tout le monde peut travailler selon ses besoins. Ensuite, ce n’est pas le travail qui manque : il y a des activités utiles qui n’existent pas, par manque de rentabilité notamment. Enfin, ce n’est pas l’argent qui manque : les fonds existent pour financer la suppression de la privation d’emploi (RSA, allocations-chômage), lesquels peuvent être combinés aux économies réalisées par les finances publiques lors du retour à l’emploi (via l’augmentation des montants perçus au titre des cotisations et des impôts par exemple).

Le bilan des territoires zéro chômeur de longue durée se veut donc positif… mais n’en est pas moins source de débats. ATD Quart-Monde, à l’origine du projet en 2016, prévoyait ainsi 13 000 euros d’économies par salarié. Un rapport des inspections générales des finances et des affaires sociales publié l’année dernière concluait, lui, à un résultat un peu moins positif. Selon ce rapport, dont la méthodologie a été contestée par ATD Quart-Monde, les gains directs pour les finances publiques (économies et recettes directes ou individualisables) s’élèvent plutôt à environ 5 000 euros par personne et par an (2 600 euros d’économies directes en prestations sociales et chômage, et 2 400 euros en divers impôts).

Dans Les Échos, l’économiste Pierre Cahuc a pour sa part critiqué le coût de l’opération, estimant que toutes les dépenses ne sont pas prises en compte, notamment celles d’investissement (achat des locaux, etc.). Affectant, de fait, la rentabilité du projet. Ce que conteste le collectif des Économistes Atterrés, qui affirme dans un texte publié par Mediapart que les exonérations de cotisations sociales coûtent chaque année plus de 27 milliards d’euros à l’État. Soit un montant par salarié bien plus élevé que l’opération “zéro chômeur”. “L’expérimentation TZCLD produit de la valeur économique, de la valeur d’usage et de la démocratie dans l’espace de la production, assure ainsi le collectif. Plus que son prétendu coût, ce que redoute Pierre Cahuc, c’est l’expérimentation d’une forme d’organisation et de valorisation de la production alternative à celle du capital.”


À Villeurbanne Saint-Jean : « Être un tremplin pour les salariés »
Le quartier Saint-Jean, à Villeurbanne, fait partie des dix premiers territoires, en France, à avoir mis en œuvre le dispositif zéro chômeur longue durée. Retour d’expérience.

Sur ce territoire, surtout connu dans l’agglomération pour abriter les Puces du Canal, c’est à travers l’EBE (Entreprise à but d’emploi) Emerjean que le projet TZCLD s’est concrétisé. Elle propose de nombreuses prestations, pour les particuliers comme pour les professionnels : retouche-couture, onglerie, petits travaux à domicile, soutien scolaire, embellissement des intérieurs, conciergerie d’entreprise, lavage de véhicules, réparation de vélos… “Nos activités sont construites de manière collective, avec les bénéficiaires du dispositif, explique Bertrand Foucher, président d’Emerjean. Nous veillons toujours à ne pas entrer en concurrence frontale avec des entreprises classiques du secteur, puisqu’il ne s’agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul. La dimension sociale du projet est importante. Nous proposons des parcours de formation à nos salariés, avec l’objectif d’améliorer leur employabilité dans le secteur privé, qui pouvait être assez limitée au moment de leur embauche.”

Comme Sophie, ils sont désormais plus de 90 à travailler pour Emerjean, tous en CDI, pour certains à temps complet — s’ils en ont émis le souhait — et au SMIC. “Je suis employée par Emerjean depuis deux ans et demi, explique la jeune femme. Le principe ici, c’est la polyvalence. Chacun doit être capable d’accomplir plusieurs tâches. Certains peuvent être spécialisés, mais nous sommes encouragés à dépasser notre zone de confort et notre domaine de compétence initial. Il y a une bonne ambiance de travail aussi, c’est appréciable parce que cela nous motive encore plus à apprendre.”

À Emerjean, le budget global de l’entreprise dépasse de peu le million d’euros. Un tiers du chiffre d’affaires est issu des activités créées, quand les deux autres sont versés par la collectivité et l’État, selon les principes du Territoire zéro chômeur. “L’activité d’Emerjean est en constante progression, assure Bertrand Foucher. Cela prouve bien que nous répondons à des besoins réels, concrets, de la population de Villeurbanne et au-delà. Nous nous impliquons d’ailleurs au maximum dans la vie locale (les salariés ont par exemple proposé aux habitants du quartier une assistance à l’utilisation de l’application et de la borne Vélo’v, dans le cadre d’une commande passée par la municipalité pour promouvoir l’utilisation de ce service, ndlr). Nous souhaitons, in fine, qu’Emerjean soit un tremplin pour nos salariés, vers des emplois stables et mieux rémunérés. Notre objectif est d’éloigner notre public de la précarité, pas de l’y enfermer, sans autres perspectives à court et moyen terme qu’un emploi aidé.”

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