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Aux origines du Moulin-à-Vent

Il y a 250 à 300 ans, naissait au nord de Vénissieux un nouveau quartier de notre ville, à la réputation autrefois très sulfureuse.

Il y a 250 à 300 ans, naissait au nord de Vénissieux un nouveau quartier de notre ville, à la réputation autrefois très sulfureuse.

Ce beau plan tracé à la plume d’oie déploie d’un seul tenant tout l’est lyonnais, depuis La Tête-d’Or jusqu’aux abords de Saint-Fons. Il a été réalisé vers 1702 par un certain Mornand. En suivant la route de Vienne, l’auteur a laissé sa main courir jusqu’au territoire de Vénissieux. À l’emplacement de l’actuel hôpital Saint-Jean-de-Dieu, il a représenté un grand château appelé Champagnieu, avec à ses côtés deux-trois fermes paysannes, et surtout une particularité rare dans la région Rhône-Alpes, mais qui allait donner son nom à cette partie de notre ville : un moulin à vent. Tout autour de cette tour ailée, Mornand n’a dessiné que des champs. Et pour cause, le quartier du Moulin-à-Vent n’est pas encore né, et demeure un coin de campagne aux “grandes terres meigres” [peu fertiles].

Le sort de ces étendues de seigle et de mauvaises herbes s’est joué bien loin de Vénissieux, dans le palais de Versailles, le 9 mars 1701. Ce jour-là, le vieux roi Louis XIV décide que le faubourg de La Guillotière n’appartiendrait plus à la province du Dauphiné mais ferait désormais partie de la province du Lyonnais. Avec cette décision royale, la frontière séparant les deux provinces se trouve déplacée du pont de La Guillotière au moulin à vent de Vénissieux, ce qui entraîne pour notre commune tout un ensemble de conséquences : à peine passé le chemin longeant le moulin, vous quittez le territoire de la justice et de la police de Lyon, la réglementation tatillonne de ses corporations de métiers, et surtout sa fiscalité peu avantageuses pour les consommateurs. Les soiffards de Lyon ont tôt fait de le comprendre ; moyennant le même prix, il leur suffit de traverser la route de Vienne pour obtenir à Vénissieux un tiers de vin en plus que s’ils l’achetaient à Lyon !
En quelques années, cette sorte de zone franche attire des habitants. À côté des paysans du cru, comme le laboureur “Mathieu Laurens, demeurant en la maison du moulin à vent située sur les limites dudit bourg de La Guillotière”, apparaissent des maraîchers, qui cultivent dans leur jardin les légumes vendus sur les marchés de Lyon, et des artisans —tisserands, maçons, serruriers, chapeliers, charrons (etc.), pour la plupart immigrés des villages du Dauphiné, du Lyonnais, voire de provinces plus lointaines comme le Limousin, qui trouvent à se loger ici à meilleur prix qu’au village ou dans les rues de Lyon. De nouvelles maisons sortent de terre, d’abord piano, puis fortissimo, lorsqu’en 1743 le vieux chemin de Lyon à Vienne est transformé en grand-route royale, ce qui dope le commerce local : en 1754, on construit ainsi la demeure du maçon David Loriol, en 1762, celle du galocher Philibert Guinet, en 1763, celles de Barthélémy Quemin et d’Antoine Forey, en 1766 de Pierre Montagny, en 1769 de François Gonnet — et ainsi de suite, sur des pages et des pages de vieux registres notariés. Autour du milieu du XVIIIe siècle, la plaine du Moulin-à-Vent se mue donc en un nouveau quartier de Vénissieux, auquel on donne tout naturellement le nom de la haute tour ronde dominant les toits environnants. Entrons dans l’une de ces bâtisses, occupée par le serrurier Gaspard Tacusiau. En 1788, elle compte sept pièces, réparties entre le rez-de-chaussée et un étage. La cuisine s’avère assez vaste pour contenir cinq armoires, un buffet et une table, outre le comptoir sur lequel maître Tacusiau accueille ses clients. De là, on entre dans la chambre des enfants et dans l’atelier de serrurerie. À l’étage, se trouvent deux chambres à coucher et surtout une grande pièce contenant six tables interminables, entourées de douze bancs. Pourquoi un tel déploiement ? Parce que maître Tacusiau n’est pas qu’un serrurier. Son atelier fait aussi office d’auberge, ou plutôt de “cabaret”, comme on disait à l’époque.

Le vin de Vénissieux a bonne
réputation, mais comme tout autre
il chavire les corps. Dans le quartier,
l’ambiance est souvent agitée

Les cabarets ! Ils font à la fois la fortune et le malheur du Moulin-à-Vent. Le quartier en regorge. Dès ses premières maisons, vous avez le choix entre les établissements de Pierre Melin, de Barthélémy Decessieux, d’Onesime Moulin, de Nicolas Chanoz, de Mathieu Sambet, du père Ratel, de Vincent Melin, de Joseph Peraud, de Baptiste Fontaine et de bien d’autres encore. Le moulin à vent lui-même est reconverti en 1750 en auberge, avec pour patron un habitant de La Guillotière nommé Augustin Montpensier.

Ces cabarets recrutent leur clientèle parmi les voyageurs de la route de Vienne, mais aussi et surtout parmi les ouvriers et artisans de Lyon, qui viennent le soir boire chopine entre amis, et y passent leurs dimanches à jouer aux cartes ou aux quilles, et à s’enivrer jusqu’à rouler sous les tables. Le vin de Vénissieux a bonne réputation, mais comme tout autre il chavire les corps si vous en abusez. Du coup, dans le quartier l’ambiance est souvent agitée. Bien des journées se terminent en bagarres, que les cabaretiers ont le plus grand mal à calmer. Et puis, ils ont aussi de ces clients auxquels il vaut mieux ne point chercher querelle. Le quartier attire depuis ses origines une population louche, car les filous de la Presqu’Ile ou de Saint-Jean peuvent y préparer leurs prochains coups sans risque de voir surgir la police lyonnaise – son pouvoir s’arrête là où commencent les frontières du Dauphiné. En novembre 1794 (le “4 frimaire an III”), le représentant du département de l’Isère, Benoît-Michel Decomberousse, adresse une lettre écrite au vitriol au maire de Vénissieux, dans laquelle il déplore son inefficacité vis-à-vis de la criminalité, et l’invite à “surveiller surtout [le quartier] Moulin a Vent, où se sont réfugiés dans tous les temps les gens mal famés”.

Monsieur Decomberousse n’exagère pas. En juillet 1797, le paysan Jean-Baptiste Forey est chassé comme une bête puis criblé de balles par des habitants du Moulin-à-Vent, après qu’on l’a accusé – sans preuves – d’avoir tué un officier de la Garde Nationale. Une fois Forey assassiné, la foule montre du doigt Benoit Patras, un vigneron connu pour sa violence, et que personne n’ose approcher : “La terreur à cet égard est si grande que tout ce qui n’est pas de son parti [tous ceux qui ne le soutiennent pas] tremble pour ses jours”

En janvier 1799, c’est au tour de la diligence reliant Lyon à Marseille d’être attaquée et dépouillée par une vingtaine de brigands, à portée de voix des premières maisons du quartier. En somme, le Moulin-à-Vent apparaît comme le Far-West vénissian. Mais c’est aussi dans ce hameau à l’abri de la frontière, que se préparent certaines grandes luttes sociales. Vous en aurez la preuve le mois prochain, en lisant Expressions.

Sources : Archives départementales de l’Isère, L 1557 et L 89, f° 145 ; L 258, bulletin départemental de police n° 25, 4 au 7 pluviôse An VII de la République. Archives départementales du Rhône, 3 E 11450 à 11495. Archives de Vénissieux, délibérations du conseil municipal, 1790-1820.

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. tracol

    15 janvier 2017 à 11 h 07 min

    4 ans que j’habite à Vénissieux, et j’aime lire ces articles sur le passé de cette ville.

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